Brèves d’images qui bougent 3/4

Si c’est infâme : filmer la guerre

Quoi de plus délectable qu’un crêpage de chignons au marché ou qu’un match de boxe sur un ring ? Parlons tiens, du feu belliqueux : les hommes se battent d’eux, armés d’osselets, de poêles ou de détonateurs depuis les premiers temps du redressement de sa colonne. De l’univers même dont nous sommes tirés, la création s’est avancée dans un chambardement d’atmosphère chargée. La fusion de contraires qui s’attirent : on a souvent avancé que haine et amour se mordaient la queue, et le mot ébat en serait quelque trace probante.

Mais la haine n’a pas été de tous les fronts ; la vilénie et sa palette d’adjuvants seraient plus habiles à auditionner. Ce que le cœur frondeur lui entraîne contre le trône altier de l’humanité est bien plus clair : bienvenue fougueuse Destruction. Te revoici Barbarie ? Tu me fais frissonner d’une anti-nostalgie venue de mes livres du révolu. Oh ! Voici le ballet de Pauvreté, elle est reine dans les taudis, la guerre elle s’en repaît et elle danse pour les autres.
Les autres derrière les rideaux de la paix.

Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola

Cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon, le jeune capitaine Willard, mal rasé et imbibé d’alcool, est sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.

Psychédélique. Foudroyant. Et à titre personnel : terriblement sensuel…
Ces lumières infernales qui valdinguent font l’effet d’un boomerang qui ne laisserait nul répit. On surfe sur la vague des occupés, on leur troue la terre sous les pieds en entonnant de classiques valses, on se terre dans ses pensées et on s’effraie de ses proches qui prêchent la mort.

Clarté solaire, lueur des torches, éclat de la terre argileuse. Tenter de deviner des hommes qui se mottent et se couvrent des ombres. Se rassasier de découpages et de profils partiels. Observer Le visage impassible du chasseur devenir celui d’une bête traquée. Quand les autres basculent peu à peu au creux du sein brûlant de la folie, même l’homme le plus tenace doit se retirer dans le silence pour ne pas être tenté de répliquer à ce qu’il ne saisit pas et d’être à son tour happé par cette construction microcosmique et démente au milieu de la jungle, ce lieu où siège un demi-dieu qui n’est qu’un homme essoré, résigné à sa fin. Un retour au primitif, aux origines, réapprendre à se nourrir et à boire, voir d’un œil autre, contempler, étudier, sentir… Le film se fait alors semblable à un exercice visuel de capoeira.

Nuit et Brouillard, de Alain Resnais

1955 : Alain Resnais, à la demande du comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, se rend sur les lieux où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont perdu la vie. Il s’agit d’Orianenbourg, Auschwitz, Dachau, Ravensbruck, Belsen, Neuengamme, Struthof. Avec Jean Cayrol et l’aide de documents d’archives, il retrace le lent calvaire des déportés.

« La guerre s’est assoupie, un œil toujours ouvert. » Alain Resnais alterne entre images d’archives et lente progression entre les vestiges des camps. Entre barbarie et ironique paysage calme et tranquille. Quelle réalité ont pour nous ces lieux imperturbables où des touristes se font photographier le plus sereinement du monde ? Si l’herbe a poussé, si les pierres se sont effritées, si le bois s’est détérioré, ce n’est qu’à l’image de notre esprit que rafraîchit d’une douche glacée cette excursion dans le passé. Ce sont bien les images du présent qui invoquent ces vies décharnées dans la mort. Le brouillard n’est plus que notre propre aveuglement qu’il nous appartient d’estomper. D’une voix sentencieuse, à l’ironie mordante et à la poésie chèrement révoltée, c’est une immersion intemporelle et un conseil que prodigue l’auteur : ne jamais s’apaiser l’âme quand les souvenirs sont une alerte au paysage d’aujourd’hui.

Un héros très discret, de Jacques Audiard

Dans l’époque trouble et confuse de l’hiver 1944-1945, à Paris, un homme qui n’a pas participé à la guerre va se faire passer pour un héros en s’inventant une vie admirable. A force de mensonge, il va construire par omissions et allusions un personnage hors du commun.

Dès les premières notes, le rythme est livré : c’est dans la peau de cet ordinaire personnage à la poursuite de reconnaissance qu’il va falloir se mettre. Ce n’est pas tellement la gloire vers laquelle tend Albert, c’est briller, c’est se trouver là où les autres furent et d’où ils tirent leur droit d’être à présent. Un anti-héros au plomb angélique, un rêveur zélé qui ne réalise l’ampleur de ses tours qu’une fois confronté au caillou coincé dans le mécanisme. Sans prêchi-prêcha sur le sujet rôdé des résistants de la dernière heure, c’est la chronique d’un garçon perdu dans la peau d’un usurpateur, qui saisit la guerre comme une chance d’exister. Qui ment par pratique, dont les fables sont apprises comme des théorèmes de géométrie. Une quasi-candeur qui le fait devenir la proie de ses propres inventions… Riant, bondissant, et frémissant, sillonnant périlleusement parmi ses succions d’histoires, c’est charmés qu’il nous vampirise à notre tour.

Docteur Folamour, de Stanley Kubrick

Le général Jack Ripper, convaincu que les Russes ont décidé d’empoisonner l’eau potable des États-Unis, lance sur l’URSS une offensive de bombardiers B-52 en ayant pris soin d’isoler la base aérienne de Burpelson du reste du monde. Pendant ce temps, Muffley, le Président des Etats-Unis, convoque l’état-major militaire dans la salle d’opérations du Pentagone et tente de rétablir la situation.

Balançant entre film noir, satire et critique des pendants belliqueux, Docteur Folamour est un film trop excentrique pour intégrer le moule des catégories communes. Tout du long de la projection, il déploie ce savoir faire rire sans pouvoir nous ôter de l’esprit les images si sérieuses, parfois froides et austères, de la guerre. Cadre et dialogues concourent au constant décalage, un contraste donnant naissance à une tonalité sacrément grotesque.

Parmi les relents de terrifiant docteur nazi expérimentaliste, militaires qui chiquent et dirigeants aisément manipulables, il faut concéder un chapeau à pois pour le superbe tercet de Peter Sellers, en homme de science dément qui a poussé le vice expérimental jusqu’à trafiquer son propre corps qui lui joue des tours ; en capitaine décalé, dandy et couard, ou bien en président qui se souhaite confiant quand un simple coup de fil suffit à le déstabiliser comme un enfant. Parfois aux allures de documentaire, souvent aux airs de conversation de bistrot, parsemé d’allusions piquantes et de répliques qui font mouche, voilà de quoi piaffer comme une fougueuse jument de la paranoïa et de l’immaturité de nos dirigeants, tout en s’en alarmant rondement.

Brèves précédentes et suivantes :

Brèves d’images qui bougent #1

Brèves d’images qui bougent #2

Brèves d’images qui bougent #4

Extrait du fanzine InK #3, composé & imprimé en 2008, dépôt légal Juin 2008. Comme le dit son Nounours (appellation peu affriolante et comblage d’un trou) : InK est un (gentil) fanzaïne appartenant à ses sociopathes créatrices : Alivia, Pierre, Pomme et Winona.

Dans le cadre d’une opération de grande envergure de numérisation du fonds InK (également intitulée « Temple funéraire »), feu les fanzaïnes de commerce pas équitable seront bientôt disponibles en consule-taie-shion aunelaïne.

Leave a Reply