Month: décembre, 2004

Memorabilis

Je suis un oignon.

Je prends conscience de ma nature superficielle, ma condition de bulbe. Comme une plaie sur un oreiller, comme la Terre s’étourdit, comme la fuite sèchera, comme le temps s’enfuit. Tout doucement, mais bien assurément.

J’ai écrit cette préface en classe de première. J’ai poussé, mais je n’ai pas changé. Je me suis assagie. Et j’y ai repensé, à ce projet fou de tanguer de moi, ce projet enfoui dans le fond du tiroir de mes années de jeunesse, ces années de prouesse.

J’aimais, et j’aime toujours donner de mon énergie en jactances vaines et inutiles : en effet, quoi de plus inabouti que la préface d’une autobiographie qui n’existera pas ? Mais toi aussi lecteur, matelot, tu intègres l’équipage de ce voyage en moi-même et pour l’occasion tu te fais éplucheur. Car n’oublie pas : je suis un oignon.

Notre première escale sera le non-sens de ma vie. Plus je réfléchis, plus je trouve absurdes mes racines, ces filaments auxquels je suis ancrée. Je te tends une pensée salvatrice : toi qui lis, demande-toi si ces saugrenuités te sont si étrangères.

Puis couche par couche, voilà après voile, je me dévêtirai, et le corps et l’esprit.

Petite sphère d’assaisonnement naissant six pieds sous terre, un rire incrédule parvient jusqu’à mes écorces : « Pourquoi réussirais-tu, là où tu as toujours échoué jusqu’à présent ? » demande la voix sans timbre, pleine de scepticisme. C’est alors que ces écorces, je les déploie du plus que je peux : pleurera bien qui pleurera le dernier !

Je m’engage à livrer à ceux et celles qui engloutiront ces lignes, toutes les parties comestibles de mon existence. Je promets de dépouiller mon visage de tout masque, de renoncer à tout artifice, et de me présenter sans fourberie.
Si ce défi se révèle être un échec, la marche à suivre pour le remboursement de cette supercherie honteuse (par son audace) et risible (par l’étonnante profondeur de son contenu) se trouve après l’index thématique de cet ouvrage, page 1988.

Mais ne tergiversons plus. Matelot, je prends la mer.
M’accompagneras-tu ?