Month: octobre, 2013

Capitulum

This is, unfortunately, sentimental: how we wish life were, rather than how it is. It’s like creating a fictional world in which every deserving orphan ends up inheriting a fortune from a rich uncle. In life, beauty is rarely, if ever, just another quality that a woman possesses, like a knowledge of French. A woman’s beauty tends to play an instrumental role in the courtship process, and its impact rarely ends there.

Dans « A First-Rate Girl: The problem of female beauty« , Adelle Waldman revient sur l’obsession des hommes pour les belles femmes de premier choix, de haut standing esthétique. Partant d’une anecdote rapportant la mécanique du choix de compagnes d’une de ses connaissances – un homme intelligent, cultivé, au physique non-hypnotique – la rédactrice revient sur ce pli général qu’ont les hommes dans notre société de ne s’intéresser en priorité qu’aux femmes qu’ils considèrent très belles et désirables ; d’en noter l’apparition ; de ne pas pouvoir transiger de trop sur le critère esthétique. En tirant des exemples de romans et s’attardant sur des contre-exemples comme Freedom de Jonathan Franzen, elle dénonce cette croyance raffermie par cette pléthore de livres (qui ne datent pas seulement d’hier) et de produits de l’industrie culturelle (en particulier) qui cautionne et même plus, qui banalise cette condition préalable dans l’intérêt porté aux femmes, et qui ajoutée à la matraque marketing à laquelle on ne peut échapper dans la rue, les lectures et les films que l’on visionne, conditionne l’exigence primordiale avec laquelle n’importe quelle femme va soigner son apparence.

Franzen’s presentation of Joey and Jenna stands in contrast to myriad novels in which a male protagonist falls for a woman for little reason other than her beauty, and then seems not merely disappointed but also angry, almost self-righteous, when she turns out not to be exactly the person he wanted her to be.

Dans l’une de mes lectures récentes, Les saisons et les jours de Caroline Miller, une même critique nait de l’infatuation de l’un des personnages, un jeune garçon fermier de Géorgie se rendant sur la Côte Est des États-Unis, pour une très jolie fille de la ville : Lias épouse Margot après tout juste trois jours de connaissance commune et la ramène aussitôt dans sa pauvre campagne. Mais très vite, sortie de son contexte, l’attirance de Lias décroit et se mue en ressentiment violent pour une femme qui ne correspond jamais à ce qu’il voudrait qu’elle soit et dont le physique devient un motif d’aversion pour eux-deux.


Cliquer et penser

Avec transition : il est dérangeant de ne pouvoir mesurer combien de ce que l’on exige pour soi-même constitue de fait l’échelle de critères entendus. Même en tentant de rester imperméable aux injonctions des magazines et des films, des propos rabâchés dans les conversations, des plaisanteries masculines, il faut se rendre à l’évidence : on y obéit, la problématique courante se lisant plutôt : jusqu’à quel point ? Or on est forcé souvent de se décourager ; car cette imperméabilité est constamment objectée par les comportements intelligents poussant dans le sens inverse. Les remarques d’amis, de personnes de confiance, les gestes pieux d’entretien physique, la non-dérogation massive à ces prescriptions. Si bien que l’on désespère : et éternellement, l’on se demandera pourquoi, toujours, revient-il aux femmes de se sentir non-entretenues, soulignées, ou même dans le plus simple cas, regardées, pour une chtare sur la tronche, deux poils sur la jambe, un corps détendu ? Le simple fait que même des hommes à forte sympathie féminine et / ou féministe ne s’empêchent de noter mentalement ou de verbaliser un manquement aux pré-supposés esthétiques, et de remarquer – presque mécaniquement – lorsque le contrat est rempli, pousse presque à capituler. La comparaison perpétuelle induite dans le regard que se jette une femme est une arme de destruction d’estime très puissante, et la savoir perpétuée par tout un chacun et chacune au quotidien, sans même en prendre note, laisse un goût d’amère défaite en croisant les reflets.

Ça n’est pas un sentiment neuf, j’avais déjà exposé quelques unes des baffes envoyées par Despentes, mais la récurrence du sentiment amène le ressassement. Mona Chollet oeuvre aussi en périphérie avec des analyses pointues, dont on recommandera la lecture avec une exhortation de type océanique.

Aujourd’hui, une femme peut mener sa vie, la réussir aussi bien qu’un homme, se voir reconnaître les mêmes compétences, les mêmes droits, se faire respecter, s’épanouir comme un homme. Il faut qu’elle ait vraiment mauvais esprit, qu’elle cherche activement les emmerdes, pour qu’elle s’entête à remettre l’organique sur la table. Tout le monde la désapprouvera, et pas seulement les hommes – et pas forcément les hommes. Il est pourtant très facile d’y renoncer sans trop se perdre soi-même. Et il y aura toujours des femmes qui y renonceront très volontiers, sans même éprouver le sentiment d’un renoncement, tant les compensations sociales sont importantes. Il y aura toujours des femmes qui pratiqueront ce que l’on pourrait appeler le « dumping amoureux », en proposant aux hommes la douceur, la docilité, une intellectualité raisonnablement bridée, un corps lisse, « allégé » – tout ce que les normes sociales exigent d’elles. Cette conformité assurera au couple un prestige non négligeable, une image de lui-même flatteuse et confortable. Oui, Catherine Breillat a eu de la chance de trouver un homme pour lui faire des enfants… Il y a une dizaine d’années, dans Elle, un article (qui m’avait beaucoup impressionnée) recommandait aux femmes de ne surtout pas se montrer drôles si elles voulaient séduire un homme. Si elles le faisaient rire, elles seraient cantonnées au rôle de la bonne copine, et « le week-end à Venise, ce serait pour une autre ». C’était peut-être un peu injuste, mais c’était comme ça : il fallait s’y faire. Eh, oui ! Soyez tarte ! Sinon, tintin, Venise ! Compris ? L’exemple est peut-être un peu extrême, mais elle se situe là, la limite tangible de la libération de la femme, aujourd’hui : comment concilier son désir d’être aimée avec son envie de vérité, ou de fidélité à soi-même ?