Month: février, 2021

Un début dans la vie comiquement humaine

Mon histoire avec Balzac est une histoire tourmentée, bien que très brève.

N’ayant pas eu l’opportunité de découvrir l’auteur au lycée et ayant été découragée adolescente par les premières pages de La Duchesse de Langeais, je n’ai jamais trop insisté sur ce qui me paraissait être un effrayant mastodonte de la littérature française, au style tentaculaire et beaucoup trop descriptif à mon goût. Quelques années plus tard, plus motivée, je réessayai pourtant avec La Peau de chagrin : que n’avais-je pas fait ! Il m’a fallu dix ans pour me remettre du sentiment d’empêchement engendré par lecture des premières pages de ce dernier titre. Dix ans, un challenge XIXe siècle et un site Internet très didactique m’expliquant combien son œuvre hétéroclite avait de quoi satisfaire tous les appétits.

Plus de peur que de mal

J’adore les univers où les personnages, les lieux et les histoires se croisent. L’imagination a tellement plus de territoire à parcourir ! Avec les 90 volumes formant la Comédie humaine de Balzac, on peut dire que madame est servie. Sauf que, bien sûr, les 90 volumes ne forment pas un tout aussi consistant, cohérent et chronologique que les Rougon-Macquart de Zola, dans la mesure où le dessein de Balzac est né progressivement. Son écriture (et sa vie) ayant été également plus erratiques, les tomes que l’on compte désormais parmi ceux de la Comédie humaine ne sont pas égaux en taille, en intérêt, en qualité, en sujets, ni même en style. Mais parmi ces 90, il y en a forcément un qui est fait pour vous.

Se familiariser avec l’œuvre

Lorsque je me suis intéressé à la Comédie humaine l’année dernière, je suis tombée sur des sites qui donnaient des conseils plutôt utiles : ils avisaient notamment de ne pas commencer par des sommes comme La Peau de chagrin, Le Lys dans la vallée ou La Duchesse de Langeais. Au contraire, ils conseillaient même des titres qui m’étaient totalement inconnus ! En tête, La Cousine Bette, Béatrix, ou le plus célèbre Eugénie Grandet.

Un site proposait même de lire la Comédie humaine sous forme de parcours thématiques : un exemple, avec le parcours « féminisme » qui propose plutôt les lectures de Mémoires de deux jeunes mariées, La Femme de trente ans, Une Fille d’Ève ou Honorine. Ainsi, plutôt que de suivre les catégories « Scènes de la vie privée », « Scènes de la vie de province », etc., on peut tout simplement établir d’autres liens, plus proches de nous, ou bien s’intéresser à des personnages particuliers que l’on retrouve d’un livre à l’autre (c’est le cas, par exemple, de Rastignac, de Vautrin, de Delphine de Nucingen).

Que puis-je conseiller ?

Parmi les œuvres lues l’année dernière et cette année, je ne peux que vous recommander chaudement La Cousine Bette, Eugénie Grandet, Le Colonel Chabert et Le Père Goriot. Pour les plus pressés, Le Colonel Chabert est court et sympathique et se lit d’une traite (et ne traite aucunement de la guerre, mais d’un vieux colonel). Le plus virevoltant, ironique, sympathique, non dénué d’une petite once de cruauté, c’est La Cousine Bette : il peut paraître un peu gros, mais il est constitué de très courts chapitres qui s’enfilent avec facilité et plaisir. C’est une très bonne porte d’entrée dans la Comédie humaine.

Enfin, Eugénie Grandet et Le Père Goriot sont des classiques qui méritent leur titre, le premier ayant peut-être moins vieilli que le second (écrit en début de carrière, avec un style qui s’en ressent, malgré une plume déjà bien affutée), mais le second mettant tout de même en scène les débuts dans le monde de ce cher Rastignac, que l’on retrouvera dans les Illusions perdues, et en filigrane d’autres œuvres, une fois sa carrière politique bien avancée.

J’ajouterais à cette liste La Vieille Fille et Le Cabinet des Antiques, qui partagent beaucoup de personnages et qui m’ont tous deux beaucoup plu. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cabinet des « Antiques » ne fait pas référence à une confrérie d’antiquaires, mais à un salon vieille garde où les aristocrates laissent le temps moderne (et les bourgeois) leur filer entre les doigts. Quant à la vieille fille éponyme, une bonne bourgeoise à l’aube de sa quarantaine, indépendante de tempérament et de bourse, qui rêve tout de même de s’établir plus tôt que tard…

Guide d’achat du classique

Si je puis me hasarder à dispenser quelques conseils en édition de classiques, car j’ai accumulé quelques écueils depuis que je me suis lancée dans mon challenge XIXe siècle, je commencerais par vous dire de toujours ouvrir un classique avant de l’acheter.

Pourquoi ? Eh bien parce que vous pouvez vite vous retrouver avec un texte difficilement lisible. Pour vous donner un point de comparaison entre plusieurs éditions Folio : un texte à l’édition très récente sera bien mieux qu’un texte dont l’édition date. Attention : ne vous fiez pas à la couverture ! Folio (par exemple) réédite les textes tels quels à l’intérieur en changeant simplement la couverture pour qu’elle colle à leur nouvelle charte (c‘est le cas du Père Goriot, malgré une chouette couverture).

Si vous voyez la mention « Nouvelle mise en page » ou « Nouvelle édition » en dessous du titre, foncez ! Mais pourquoi vous embêté-je donc avec cela ? Eh bien, parce que je l’ai appris à mes dépens : le gros plomb qui date fait mal aux yeux. Entendez-moi bien, je n’ai rien contre le bon vieux plomb, je trouve même que les éditions originales au bon vieux plomb sont souvent superbes. Mais le souci du bon vieux plomb apparaît quand il a été réimprimé, et réimprimé, puis photogravé, ou scanné, puis encore imprimé et réimprimé : ce n’est plus du tout du bon vieux plomb, c’est du gros plomb qui tâche et, pour tout vous avouer, une honte éditoriale quand on sait combien les classiques vendent et ne coûtent quasiment rien.

Je glisserai dans de prochains billets quelques mots à propos de certains titres lus cette année, et finirai par la mention d’autres moins connus peut-être, en particulier Le Cousin Pons, aisé à lire mais qui m’a cependant fatiguée (et le choix de transcrire l’accent du personnage allemand tout du long du roman est franchement lourdingue) et  Une ténébreuse affaire. Ce dernier, situé en 1800, narre comment des nobles et des petits-bourgeois se trouvent tragiquement mêlés à un complot politique visant à effacer de l’histoire une tentative d’assassinat du futur empereur Napoléon. Un complot politique et une enquête policière qui m’a, à l’inverse, infiniment plu, mais il exige quelques connaissances sur la période historique et n’est véritablement pas ce que je conseillerais pour entrer dans son œuvre. Enfin, je préciserais que j’ai goûté les premières pages de Beatrix lors d’une excursion bretonne et qu’elles auguraient une excellente lecture, tout comme le recueil de nouvelles tout récemment publié intitulé Gobseck.