Month: janvier, 2021

Elle, ce qu’elle aime, c’est le bic

Cette fin d’année se clôture par un coup de stylo en plein cœur avec Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris.

Quel magnifique objet, qui coupe le souffle tant techniquement, que narrativement, thématiquement, psychologiquement, plastiquement ! C’est tout à la fois un récit d’apprentissage, une enquête de détective, une chronique de l’Amérique des années 1960-1970 et de ses tensions raciales, une étude psychologique des mécanismes d’enfance, un tableau de la prostitution infantile, de la montée du nazisme, l’acceptation de la maladie, du deuil, et encore un thriller fantastique et un commentaire d’histoire de l’art. Rien que tout ça !

La texture de ses dessins est tout bonnement époustouflante. Dans une petite vidéo de l’auteure, que j’ai trouvée sur YouTube, elle explique que lorsqu’elle dessine, elle « sent » tout : le tissu des vêtements, la chaleur d’un cou… Et cela se perçoit à la lecture, tant on a le sentiment que les personnages, les lieux et les objets traversent le papier. Et que dire de cette obsession du détail, des traits ? C’est une œuvre névrotique. Apprendre que l’auteure a produit cette cathédrale de papier en sortie de paralysie, pour retrouver partiellement ses capacités… quelle leçon monumentale de résilience. Emil Ferris devient instantanément une de mes figures adoubées, il ne peut simplement pas en être autrement.

J’ai initialement pensé que ça allait être trop bavard pour moi, mais j’ai pourtant glissé dans les dessins et les récits, et me suis fait entièrement happée par l’histoire de cette petite fille qui voit tout au travers du prisme monstrueux. Une petite fille qui aime les filles et qui se construit une autre identité pour, tout à la fois, exacerber sa différence, la revendiquer et la dissimuler sous une grande carapace. Une vraie pépite, dont j’attends la suite en piaffant.