Month: septembre, 2020

Les profanes du quotidien

Début des années 1970, dans l’État du Kerala tout au sud de l’Inde, la famille Kochamma est une famille plutôt aisée, possédant une conserverie marchant tant bien que mal. Sous le même toit vivent les doyennes, Mammachi et sa belle-sœur Baby Kochamma – vieille grand-tante jamais mariée et plutôt harpie –, ses enfants ayant échoué dans leur vie sentimentale et revenus au bercail, Chacko et Ammu, ainsi que ses petits-enfants, les jumeaux d’Ammu : Estha et Rahel. Dans l’entourage de Mammachi, il y a également un jeune Intouchable, Velutha, qu’elle a toujours traité avec bienveillance, malgré tous les préjugés et toutes les discriminations liés à sa condition. Quand l’ex-femme de Chacko décide de venir leur rendre visite pour Noël avec sa fille, Sophie Mol, toute la maison est sens dessus dessous. Imbriqué dans un drame familial se jouera un autre drame d’une ampleur bien plus vaste, le tout noyé dans une quantité de petits riens laissant leur empreinte indélébile.

C’est décidément une gageure de résumer l’intrigue de ce mystérieux livre ! Sans vous gâcher la surprise puisque c’est annoncé dans les premières lignes, le drame familial est donc la mort soudaine et tragique de la petite Sophie Mol, cousine germaine d’Estha et Rahel leur venant tout droit de Londres et mettant pour la première et dernière fois les pieds sur le sol indien. Que s’est-il passé ? Suivant ce drame, les faux-jumeaux fusionnels ont été séparés, à l’âge de 8 ans, pour ne jamais se retrouver. Que s’est-il donc passé ? Où est passée leur mère ? Quel secret ont-ils dû garder ? Quel mensonge enfantin ont-ils dû faire ? Sur la situation des castes et des Intouchables, je vous renvoie à cette page qui tente de résumer une situation très complexe.

Roman bien plus court que mes lectures précédentes, j’ai eu plus de mal à le terminer, n’étant plus habituée aux histoires moins linéaires… Voilà qui m’apprendra à m’être enfermée dans le siècle de la narration blockbuster !

Pourtant, le livre est incroyablement bien écrit et l’histoire de ce mystère familial est prenante. Arundhati Roy passe avec brio d’une génération à l’autre, d’un lieu à un autre, d’un pan de l’histoire individuelle à un pan de l’histoire nationale. Le style est poétique, mêlant les références hindoues, chrétiennes, les confondant parfois lorsqu’elle emprunte le point de vue des enfants qui évoluent entre plusieurs langues, entre plusieurs générations, voire entre plusieurs castes. La fin est parfaite. Roy défie les lois de la chronologie narrative pour élever le plus beau moment au statut d’apothéose finale et parvient à la fois à transgresser et réparer le système castique.

C’était le seul roman qu’avait publié Arundhati Roy, au milieu de centaines d’articles et d’essais militants, jusqu’à il y a peu, quand est paru son second intitulé Le Ministère du Bonheur suprême. Je m’y pencherai sûrement un jour, mais pour le moment, je retourne m’échouer sur des rivages plus proches.