Month: août, 2021

De l’obscurité à la Lumière

Après des mois à avoir buté sur des lectures, j’ai profité d’une nouvelle incursion estivale dans la campagne lotoise, campagne silencieuse, placide, qui encourage les heures de lecture, au coin du feu ou au bord du lit. Or cette année, il n’y a pas de rez-de-chaussée, en raison de travaux à durée indéterminée. Qu’à cela ne tienne, il y a une chambre poussiéreuse qui fait encore l’affaire dans les combles.

L’année dernière, j’ai pu redécouvrir George Sand avec Indiana ; cette année, c’est la librairie de proximité et son seul titre de Sand qui a choisi pour moi, je vais donc vous parler de Mauprat !

Je parle de redécouvrir Sand, car les souvenirs ancestraux que je conserve de mes lectures d’elle sont des petits romans pastoraux, de La Petite Fadette et François le champi aux Maîtres sonneurs. On a souvent collé à cette autrice une étiquette de contes rupestres, simples, à destination de la jeunesse, alors qu’elle a pourtant écrit une somme considérable de textes, allant de romans psychologiques, d’aventure et d’histoire d’amour, de nouvelles et de pièces de théâtre, à des critiques d’art et de littérature, des contes pour les enfants, un journal et une autobiographie monumentale… Allons bon, découvrons Mauprat.

À la Roche-Mauprat, le temps s’est arrêté : nous sommes au xviie siècle, mais ses barbares occupants vivent d’us et coutumes féodales, s’étant peu à peu coupés du reste de la société. Faisant siège dans leur ténébreux château, ils sont grossiers, mal fagotés, torturent et pillent quand ils le peuvent, et se refusent à payer quelque impôt ou quelque dette que ce soit. Bernard, jeune Mauprat de 17 ans, est déconsidéré. C’est le petit dernier et le maillon faible du groupe. Ses frères, célibataires robustes et endurcis et uniques membres de la fratrie, s’en débarrasseraient bien, s’ils ne devaient pas compter sur son soutien physique en cas d’attaque. Et justement, un beau soir, la maréchaussée décide de faire enfin tomber ce bastion de l’illégalité. Parallèlement débarque de la forêt Edmée, une jeune noble éperdue mais fière, qui n’est autre que la cousine éloignée des Mauprat. Au grand dam de ses frères et de ses propres notions, Bernard décide de la faire s’échapper du castel, après lui avoir fait jurer de se donner à lui pour l’en remercier.

C’est un résumé bien court et qui ne s’en tient qu’au tout début de l’histoire. Car le roman, situé à l’époque des Lumières, fait l’éloge de l’éducation : ce Bernard, mal dégrossi, voulant prendre son dû dans la vertu de sa cousine, n’est franchement pas à sa hauteur. S’il parvient à s’élever intellectuellement et humainement, alors il méritera sa main, son cœur, et tout le reste convoité. Jean-Jacques étant la lecture de chevet d’Edmée et de ses comparses, ils souhaitent rallier Bernard à leur esprit social, philosophique, naturaliste et même un peu communautaire. Sauf que Bernard résiste, sa passion l’entraînant souvent à exiger qu’on lui accorde des étreintes, et ce n’est que très progressivement qu’il va accepter de s’éduquer, plus par défi que par envie.

J’ai dévoré ce roman, malgré quelques passages longuets : il y a une ambiance de roman gothique, de roman philosophique, de roman d’aventure avec un passage en Amérique, de roman social avec cette société qui touche peu à peu à la montées des classes et la Révolution française, et même un petit quelque chose du roman policier avec un procès et une enquête. Le tempérament d’Edmée est une sacrée énigme : habituée des histoires un peu simplettes, je ne saisissais pas bien cette femme qui se refuse à cet homme, alors qu’elle semble lui porter autant d’affection que lui. Tu vas lui donner ta foutue main, Edmée ?! Tu arrêtes de faire languir ce bon Bernard ? Mais, si l’on y réfléchit bien, faut-il se revoir à la baisse parce que l’on aime ? Avec toutes les angoisses que nous filent les temps modernes (entre autres), on est sans cesse pris dans une course à la conformité. Le professeur Edmée aurait infiniment beaucoup à enseigner aujourd’hui. S’il faut beaucoup de patience pour parvenir à saisir le canevas inextricable qu’est son caractère, fait d’indéfectibles exigences, je crois que cela vaut diantrement le coup.

Enfin, pour terminer, il y a de superbes personnages secondaires : j’ai été beaucoup émue par Patience, le vieux sorcier illettré, vivant seul dans sa cahutte, mais dont le cœur philosophe à toute heure ; Marcasse, ce sergent paysan à la langue imbitable mais à l’intelligence aiguisée ; ou bien Arthur, le compagnon de guerre de Bernard, naturaliste né.

Pour résumer, une grande fresque romanesque, parfaite pour l’été ou bien les soirs d’hiver un peu duveteux.