Month: janvier, 2018

La hantise de l’intérieur

Si vous deviez décrire ce qu’une maison hantée vous évoque, par quoi commenceriez-vous ? Probablement par la façade de la dite maison : un quelque chose de Brontesque, du gothique, une végétation hostile ; puis par son intérieur, sombre, labyrinthique, inquiétant ; vous finiriez enfin par l’élément perturbant de cette maison, la « hantise », les âmes errantes, les fantômes, les monstres qui occuperaient la demeure et feraient de son habitation un enfer. Eh bien, mes amis, Shirley Jackson est là pour revoir ce poncif et vous faire réfléchir intensément au sens du mot « hanté ».

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Cette histoire de maison hantée commence à vrai dire comme une classe verte : quatre compagnons se retrouvent au seuil de cet effrayant manoir, incontestablement propre, mais à la physionomie sombre, glaçante et impossible à figurer. Ils vont y séjourner une semaine, sous la houlette du docteur Montague qui, à des fins scientifiques, a décidé d’étudier les effets de cette maison en la compagnie de trois inconnus, triés sur le volet. Les premières invitées sont deux jeunes femmes, Eleanor et Theodora, au passé pavé d’événements paranormaux. Leur compagnie se complète d’un jeune homme charmeur, Luke, hériter de la maison, dont la présence est une condition imposée au docteur Montague par l’actuelle propriétaire de Hill House.

TheHaunting Pour les amateurs n’ayant pas envie d’attendre la série Netflix, vous pouvez toujours vous plonger dans l’adaptation de Robert Wise, La Maison du Diable.

Ces joyeux poltrons se retrouvent réunis autour du Dr Montague, dans des conditions absurdes de leur propre aveu, et réagissent avec une sorte de légèreté inquiète. Ils tentent de conserver une apparence de raisonnable en plaisantant, en se moquant et en se racontant des histoires les uns aux autres, comme pour exorciser l’effet de leurs frayeurs. Il ne peut rien y avoir de plus effrayant que ce que l’on se raconte, la fiction doit pouvoir surpasser la réalité. Car il ne se passe pratiquement rien d’attendu dans cette maison prétendument hantée. Des portes claquent, les lieux manquent cruellement de lumière, on a un mal considérable à se retrouver dans la flopée de couloirs et de portes communicante. Mais il n’y a rien qui soit paranormal à proprement parler : pas de fantôme, pas de monstre, pas de créature sombre. C’est la maison elle-même qui crée le désarroi, car comme le docteur l’explique, son constructeur a fait en sorte que le malaise soit inscrit dans ses constructions : les marches ne sont pas égales, rien n’est symétrique, les murs sont penchés. Le docteur a convié des personnes possiblement sensibles aux angoisses fantastiques et observe les effets que va avoir cette bâtisse à l’aspect angoissant sur la psyché des invités.

Sauf qu’au milieu de tout cela, il y a Eleanor. Eleanor et ses insécurités, son admiration pour la personnalité et le physique de Theodora, sa jalousie, ses reproches, sa solitude, ses désirs d’une nouvelle vie, d’une vie où elle-seule cette fois compterait. Son flux de pensée est rythmé par des proverbes lancinants, qu’elle se répète comme des comptines, des incantations, symptomatiques d’un aspect maniaque, obsessionnel de sa personnalité, inexpliqué mais dangereusement perceptible.

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Je ne vous en dis pas plus, mais c’est un récit surprenant à plus d’un titre. Chemin faisant, j’ai éprouvé quelques difficultés à m’en faire un avis, avant d’être conquise par une fin phénoménale. Certaines parties m’ont en effet laissée perplexe, en particulier les dialogues. Il y a comme une fausseté dans la tonalité des répliques, un manque de développement, un défaut de subtilité. Theodora, Luke, Eleanor et le docteur se retrouvent parfois prisonniers de comportements antagoniques, stéréotypés, qui nuisent à l’épaisseur du récit. Surtout lorsque l’on compare certains passages avec d’autres très éloquents, bellement tournés, des phrases sur lesquelles on s’arrête un instant, pour les relire, les réfléchir, peser leur part de vérité et leur part de poésie. Je me suis demandé si c’était un défaut de traduction, avant de tomber sur cet avis anglais partageant mon ressenti.

Reste qu’il s’agit du troisième Shirley Jackson, après le très bon Nous avons toujours vécu au château et le formidable recueil The Lottery, confirmant le talent de cette auteure délicieusement bizarre et aliénée. Si mes bavardages ne suffisent pas à vous convaincre de la découvrir, ceux de France Culture ne peuvent manquer d’y parvenir !