Month: octobre, 2020

Big Brother is Writing You

Pendant le confinement, j’ai décidé de placer cette année sous le signe de la mélancolie, en allant puiser l’immense majorité de mes lectures dans le xixe siècle. Vraie-fausse mélancolie pour tout dire car, pour finalement conserver l’équilibre précaire de ma santé mentale en ces temps de retraite forcée, je me suis tenue éloignée des poètes maudits e tutti quanti. Mais enfin, ce siècle fut si riche en tous points littéraires qu’une année ne sert qu’à approcher la diversité des écrits qui nous sont parvenus. Alors que la fin d’octobre se rapproche, je me dis que j’ai enfin pu me réconcilier avec Balzac, m’ouvrir correctement à Sand, poursuivre Zola, dévorer Eliot, comparer les Dumas, m’aventurer avec Dickens et Stevenson, frémir avec Wilde, me familiariser avec Maupassant, contempler Hugo, critiquer Stendhal, préméditer avec Wells. Les Russes ont fait leur retour : Pouchkine, Tourgueniev et Gogol verront bientôt Tolstoï, Dostoïevski et Gontcharov leur tenir compagnie. Certains ont enfin rejoint les étagères, Barbey d’Aurevilly, Musset, Vallès, mais leur horizon de lecture est encore indistinct. Certains, parmi eux Melville et Flaubert, après une molle tentative, sont momentanément mis à l’amende.

Tout cela résultant en une année d’acquisitions frénétiques : ça dégueule sur les étagères. Mais aussi de lectures hors-pistes, avec une dose illégale de bandes dessinées et quelques classiques modernes. Ce préambule complètement hors sujet m’amène tout droit à écrire quelques mots d’un certain mastodonte. Car parmi mes lacunes, mes manques, mes secrètes hontes, il y avait 1984, que je n’avais jamais lu. Profitant d’une nouvelle traduction sortie en poche chez Folio, je m’y suis attelée avec délice le mois dernier.

Ce fut un excellent moment de lecture, le texte n’a pas vieilli et est tellement plus riche que l’image que l’on en a. On connaît beaucoup la première partie, la surveillance, le système de classe entre les membres du parti, les employés et la classe populaire, dont les droits sont paradoxalement plus étendus que les employés affiliés au parti. Mais la seconde partie du livre regorge d’éléments que l’on a moins en tête : pourtant, c’est la fabrique du consentement qu’elle raconte, la torture puis le formatage des citoyens deuxième génération. Au discours s’ensuit la pratique, les moyens bien concrets de coercition et de contrôle des citoyens, de l’homme désobligeant à la femme rebelle. C’est un véritable manuel : comment briser un homme ? Vous saurez tout !

Difficile de juger de ce que peut apporter de plus cette nouvelle traduction par rapport à l’ancienne, mais sachez déjà que la « novlangue » est devenue le « néoparler ». La traductrice l’explique d’ailleurs dans une note à cet égard :

Orwell était extrêmement méticuleux dans ses choix de termes, son appendice [sur les Principes du Novlangue, ndlr] est rédigé de manière extrêmement méthodique. S’il avait voulu écrire « novlangue », il aurait écrit « newlanguage ». Or ça n’est pas une langue, c’est une anti-langue. Comme si on introduisait un virus dans le logiciel de la langue pour qu’il la détruise. Je suis convaincue que l’expression « novlangue » va rester dans la conversation, mais pour traduire le terme qu’Orwell a choisi, « newspeak », c’est « néoparler ».

Bon en revanche, la nouvelle nouvelle traduction que Folio sort en janvier 2021 me rend clairement songeuse. Outre le fait que cette énième nouvelle traduction est moins chère que celle sortie cet été, je m’interroge sur l’utilité pour le même éditeur d’en sortir une flopée (qu’on imagine due à l’entrée du texte VO dans le domaine public…).

Je ne résiste pas à un petit panel des meilleures couvertures :