À peine quelques jours après sa sortie, alors que je le gardais précieusement à mon chevet et patientais le plus longtemps possible avant de le découvrir, j’ai finalement craqué hier soir et ai lu L’Institut des Benjamines, le dernier tome paru de la série d’Anne Simon.

Car c’est ce genre de série, où l’on guette des signes d’avancement en trépignant ; où l’on surveille l’Instagram de l’autrice pour apercevoir des bribes de ses travaux en cours et se rassurer sur la sortie effective du prochain tome ; où l’on calcule le nombre d’années séparant chaque parution, afin de deviner la date de sortie de l’opus suivant… Oui, je suis certainement un peu accroc.
Pour rappel, que sont les contes du Marylène, cette série dont je vous avais déjà parlé en 2020 ? Il s’agit de la chronique d’un pays et des dérives inhérentes à sa gouvernance changeante : à chaque ère, son monarque/tyran/dirigeant plus ou moins éclairé ; à chaque ère, son régime politique qui, même avec les meilleures intentions du monde, finit toujours par échouer.
Dans ce pays fantastique, l’autrice dessine avec humour des espèces imaginaires cohabitant les unes avec les autres. Chaque tome se fait un plaisir de tirer les fils esquissés : qu’il s’agisse de raconter l’histoire d’un personnage mineur aperçu précédemment, de revenir sur un épisode obscur avec moult détail… Le tout dans une ambiance satirique, drôlatique, politique et psychanalytique. Sans oublier ce petit quelque chose de Tolkien (la cosmogonie qui s’étend, s’étend, s’étend…), de Zola (la dégénérescence biologique et sociale) et de médiéval dans la mise en scène graphique.
La Geste d’Aglaé contait le renversement du tyran Von Krantz et le règne de la reine Aglaé, assistée de sa fidèle Simone ; Cixtite l’impératrice est un interlude durant le règne d’Aglaé et conte la guerre opposant Aglaé et Cixtite, le pays de Marylène contre la Tchitchinie (un pays faisant notamment la guerre aux hommes).
Boris l’enfant patate met en scène la déchéance d’Aglaé et l’installation de la dictature de Boris, l’enfant roi (une dictature également libérale avec le monopole capitalistique de la frite) ; Gousse et Gigot revenait sur l’existence des deux filles du tyran Von Krantz, ces dommage collatéraux de la politique, jadis maltraitées par leur père, puis par tous les gouvernants qui lui succédèrent.
Enfin, L’Institut des Benjamines montre à voir l’expérience (ratée) de Simone Michel, féministe aveuglément engagée dans la résistance et le renversement de la dictature de Boris, jusqu’à en perdre son humanité.
Bon, le tableau est très pessimiste quand je vous le présente de cette manière, mais le tout est savamment conté ! C’est une véritable fable, à l’humour et la mise en scène lumineux.
Quelques mots sur ce dernier tome : et si le renversement de la dictature patriarcale passait par l’endoctrinement féministe ? Mettez d’innocentes petites filles ensemble dans un manoir isolé, ôtées à leur famille, élevées dans la discipline et les idées révolutionnaires, donnez-leur la meilleure éducation possible, avec des enseignantes inspirantes… Que peut-il mal se passer ?! Ajoutez par-dessus tout cela de l’emprise (comme toujours chez Anne Simon, les plus forts sont toujours les plus faibles, sujets à l’emprise de leur entourage), de l’eugénisme, des figures du passé agissant en sous-main et un peuple désœuvré… Vous obtiendrez une passionnante et instructive chronique de ce pays versatile.
Erratum : après réécoute de l’émission de France Culture de 2020, le prochain tome ne portera pas sur l’île des Douk-Douk (il s’agira là du tome encore d’après, un hypothétique tome 7), mais sur la relation entre James Kite, le directeur du cirque, et Henry the Horse, son fidèle ami et cheval. Cerise sur le gâteau, Anne Simon précise que ce sera un volume tout en couleur.