Month: mars, 2020

Une éducation sentimentale et religieuse

Au bout de quelques semaines de confinement, j’ai été prise d’une révélation : 2020 allait être l’année des gros romans. Non seulement l’enfermement loin de la ville et de ses divertissements nocturnes allait me donner le temps de concentration dont je manque invariablement, mais l’unité de lieu (et d’activité) allait tenir de tremplin pour ma motivation d’une constitution bien frêle. Si j’avais eu ma bibliothèque parisienne, qui sait, j’aurais pu même trouver la force de m’attaquer aux livres ardus prenant la poussière depuis des lustres… Ah, mildiou !

livre

Voici donc le premier des trois livres dont j’ai récemment fait l’acquisition : Daniel Deronda, tome 1, de George Eliot, également connue dans le civil sous son nom de baptême, Mary Ann Evans. Ne vous méprenez pas, ce tome 1 ne fait pas moins de 576 pages et reste fidèle au goût de son autrice pour les gros pavés. En effet, parmi ses romans les plus célèbres figurent les épais Moulin sur la Floss et Middlemarch, qui doit toujours être quelque part à Ivry-sur-Seine, dans une pile de livres ronflant près de mon sommier. Comme je possédais déjà Middlemarch, j’ai donc choisi un peu au pif un livre de cette grande romancière anglaise recommandée par une tripotée de gens bien (dont Virginia Woolf n’est pas des moins illustres), attirée par le résumé très succinct et la perspective de pouvoir ensuite juger de l’adaptation télévisée produite par la BBC. Je n’avais peut-être pas bien considéré que ça ne sert à rien de regarder une adaptation après avoir lu la moitié de l’œuvre, puisqu’on ne peut pas regarder une adaptation qu’à moitié, et n’ayant pas fait l’acquisition du second tome, je suis – comme diraient nos amis rosbifs – dans un cul-de-sac (à prononcer « cool d’œil sac »).

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M’enfin, ça, vous vous en fichtrez bien ! Daniel Deronda, c’est donc l’histoire de Gwendolen Harleth. Oui, moi aussi ça m’a surprise : il faut dire que j’ai aperçu le fameux Daniel Deronda à la première page, vraiment, aperçu, puis pouf ! Envolé. Plus entendu parler de lui pendant les presque 300 pages suivantes. Parce que Daniel Deronda, c’est aussi l’histoire de Daniel Deronda, qui reparaît en cours de route, croisant le chemin de Gwendolen Harleth. Mais Daniel Deronda, c’est aussi un peu l’histoire de Mirah, qui tombe dans l’histoire comme une vache dans un puits, et qui semble prendre un rôle bien plus important à la fin du tome 1 en prévision du tome 2.

Daniel Deronda est un roman de mœurs et un roman de caractères : c’est un livre qui m’a passionnée, mais qui est un peu ardu à résumer tant l’action est par moments intérieure. Celle qui semble a priori tenir d’héroïne au roman est une jeune fille distinguée, à la situation familiale et financière pas très heureuse, mais pas non plus des plus malheureuses, une situation à la Bennett, à l’exception de la fratrie partiellement heureuse, puisque Gwendolen n’aime qu’une seule personne au monde, et c’est sa mère. C’est aussi une jeune fille imbue d’elle-même, égoïste, uniquement intéressée par son propre pouvoir de domination sur les autres, qui estime que le meilleur lui est dû. L’autrice nous peint un personnage caractériel, tout en lui trouvant des excuses en permanence pour son comportement, excuses qui pénètrent notre sens de la sympathie, mais nous donnent aussi envie d’une bonne rebuffade. Courtisée par un riche aristocrate alangui au charme d’un bigorneau, elle n’a en tête que la perspective de lui refuser une éventuelle demande en mariage pour montrer à tous son indépendance d’esprit. Hélas, son beau-père étant une espèce de fantôme raté à qui elle doit quatre demi sœurs sans charme ni esprit, il finit, avec l’aide de mauvais spéculateurs, par précipiter leur chute financière et sociale. Gwendolen doit alors faire face à un dilemme intérieur des plus répugnants à ses yeux.

Parallèlement nous est contée l’histoire de Daniel Deronda, un garçon des plus charmants aux origines inconnues, vivant sous la protection d’un « oncle » richissime n’ayant pas d’héritier mâle. Ce dernier, au hasard d’une promenade sur la Tamise, sauve la vie de Mirah, une jeune Juive à l’allure étrangère, qui s’avère avoir connu de grandes difficultés dans une vie de tourments au travers de l’Europe et de l’Amérique. Mirah recherche sa mère et son frère, des Anglais de qui elle a été brutalement séparée lorsqu’elle était enfant. Daniel se met en tête de protéger cette jeune fille qui ne le laisse pas indifférent et part en quête de contacts avec le monde juif.

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Je ne suis vraiment pas douée pour faire honneur aux heures de lecture consacrées à cette fresque anglaise, mais si les romans psychologiques et de mœurs sont votre cup of tea, cela devrait grandement vous plaire. Beaucoup moins réaliste et terre à terre que le style d’une Jane Austen, mais donnant toutefois une grande part aux réflexions de l’autrice sur tout un tas de sujets. Et avoir un personnage féminin central dans ce genre de romans, même s’il est un peu désagréable, est très rafraîchissant (surtout quand ses aspirations sont tout sauf le mariage).