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« Le sang, même celui des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions. »

Ainsi soit O

Benoîte Groult nous a quittés en juin cette année, à l’âge de 96 ans, après une vie plutôt bien remplie, que Catel s’était chargée de raconter, dans sa bio-graphique / reportage bd / portrait distancié publié en 2013 intitulé Ainsi soit Benoîte Groult. On y découvrait les grandes lignes de l’existence tumultueuse, féministe, bourgeoise qu’elle mena, son arbre généalogique (la moitié de la France glamour est liée à elle) ainsi que son existence peu paisible à l’âge de 90 ans, entre bourlingue sur les routes, conférences très pop’ et propos têtus (voire un peu limites) de vétérane. So long, Benoîtine !

Ainsi soit Benoîte Groult, de Catel

Son décès en juin m’a paru une bonne occasion de s’y pencher, aussi j’ai mis dans ma besace son Ainsi soit Olympe de Gouges, livre où elle s’empare de la figure féministe (sic) de la Révolution, Marie Gouze veuve Aubry, dite Olympe de Gouges.

Olympe de Gouges, en quelques mots : née dans le Sud, cette occitane est mariée à 16 ans et veuve (avec enfant à charge) à 17. Une vie de liberté l’attendait, puisqu’elle refusa catégoriquement de se re-marier (« le mariage est le tombeau de l’amour »). Par la suite, désirant un peu vibrer dans la vie, elle monte à Paris, s’installe dans le(s) cœur(s) littéraire(s) et intellectuel(s), développe sa carrière de dramaturge avant de se découvrir un goût fort prononcé et inaltérable pour la Patrie et les questions politiques et sociales qui animent les classes françaises, en cette fin de XVIIIe siècle. Elle se prend de passion pour la cause des esclaves (et des noirs libres), puis pour celles des femmes, et rédige, après la Révolution, la Déclaration des droits de la Femme, dans l’espoir de la faire adopter à l’Assemblée. « Girondine », s’attaquant sans en démordre à la tyrannie des Jacobins – Marat, Robespierre, Fouquier-Tinville et tutti quanti – elle finit par être emprisonnée sous la Terreur, et condamnée à l’échafaud, où sa tête roule en plein été 1793.

Autant dire que le petit livre de Benoîte Groult n’est pas réellement ce à quoi je m’attendais ! Peut-être plus un ouvrage dans la lignée d’Élisabeth Badinter, cf. Condorcet et Émilie Émilie, avec moult notes de bas de page et des propos bien référencés ?

Benoîte Groult verse complètement dans la vulgarisation. On sent un militantisme effronté, avec ses idées parfois un peu arrêtées, raccord avec le portrait en plusieurs teintes (de noir et blanc) qu’en avait fait Catel dans Ainsi soit Benoîte Groult. C’est light, c’est groove, c’est punch !

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Je dois dire que j’ai eu une impression de récit-gruyère, avec beaucoup d’ellipses laissées sur sa vie et ses activités. On passe en l’espace de quelques pages sur la moitié de sa vie (0 → 30 ans), on s’intéresse à ses premiers coups d’éclat… Puis je ne sais trop comment, à son activisme politique acharné pré et post-révolutionnaire (1789 – 1792). C’est un peu frustrant, le tout emballé et pesé en 60 pages.

Groult propose plus une introduction, un récit libre et sélectif pour saisir les enjeux des textes de Gouges. Mais il n’empêche que le contexte vient à manquer. Il s’agit bien d’une figure à réhabiliter (ce qui, je pense, est désormais en bonne voie) mais on a le sentiment que c’est un portrait très indulgent et parfois caricatural qui en est fait.

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Mais que cette lecture de l’Olympe de Groult ait été partielle et sommaire, à la limite tant mieux, puisque ma curiosité était suffisamment piquée pour que je puisse m’accrocher au récit bd de 400 pages de Catel et Bocquet, qui semblait une autre paire de manches que le dos nu de Kiki.

Effectivement, on referme ce pavé (comme une tombe) avec une idée très précise de ce que furent son ascension et sa chute. La très longue première partie traite du quotidien des 25 premières années, son entrée dans le monde cosmopolite parisien, sa fréquentation des intellectuels, son adoration des philosophes (salut Jean-Jacques !), ses flirts éclairés. Progressivement, elle s’imprègne du climat qui bouillonne, passe de l’autre côté de la scène théâtrale en rédigeant des pièces, amateures tout d’abord, puis se met en tête de les faire jouer à la Comédie-Française. De fil en aiguille, de rejets, de préjugés, et de mécontentement populaire grondant autour d’elle, sa conscience politique et sociale s’éveille, s’anime et ira jusqu’à frôler l’illumination.

Des détails de sa vie font mouche, notamment sa grande liberté clairement permise par l’absence d’attachement conjugal (ou familial) et la rente, que lui fournit pendant plus de 20 ans, son riche amant Biétrix de Rozières. Elle éprouvait des difficultés pour l’écriture et n’écrivit jamais rien elle-même mais dictait, à un fidèle Bertrand, l’ensemble de ses pièces, romans, placards et réclames, qu’elle apportait ensuite chez l’imprimeur pour les distribuer dans toute la ville.

C’est également l’occasion de se rafraichir un peu la mémoire sur cette période foutraque de notre Histoire, et de croiser des visages et des noms bien connus (grâce aux notices bibliographique de fin de volume, vous serez incollables sur les traitres à la patrie de cette sombre époque). En bonus « je réhabilite ces dames, intellectuelles et activistes, qui ont été gommées de nos livres », on croisera : Théroigne de Méricourt, Sophie de Condorcet, Charlotte Corday, Madame de Montesson, Fanny de Beauharnais ou encore Julie Candeille. Dommage néanmoins que Mary Wollstonecraft, l’auteure de la Vindication of the Rights of Women, que Sophie Condorcet fait découvrir à de Gouges et qui inspirera sa Déclaration des droits de la Femme, ne soit pas plus créditée dans la bd.

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Le livre fait office de manuel. C’est plein d’anecdotes, tellement fouillées qu’il fait parfois plus l’effet d’un document (pouvant paraître rébarbatif). Et c’est à se demander si ce n’est pas un virage que souhaite prendre le couple Catel & Bocquet, tant la forme est plus « éclairée » que Kiki de Montparnasse (dont leur chronique d’une femme et de son époque, était largement plus teintée de légèreté). On sent l’influence de la rencontre avec Benoîte Groult et du sujet en elle-même ; une impression de responsabilité / responsabilisation se détache de la lecture.

Cela tombe bien, le couple sort une nouvelle bd à la rentrée, sur Joséphine Baker. Ça va pouvoir se vérifier bien tôt ! D’ailleurs, nouvelles couvertures pour Kiki et Olympe, suivant celle de leur nouvel opus.

Kiki de Montparnasse, de Catel et Bocquet

Petite fille « tombée du ruisseau », Alice Prin avait tout pour bien commencer dans la vie : une mère accouchant cuitée, un père absent, un parrain semi-contrebandier qui la fait danser et chanter dans des tavernes alors qu’elle fait encore l’école buissonnière. Arrivée adolescente à Paris, son indomptable caractère se fait renvoyer de plusieurs établissements, avant de l’amener à faire ses premières poses de modèle nue chez des artistes de Montparnasse. Ni d’une, ni de deux, voici ses opulentes courbes parties faire le tour des ateliers, tandis que sa verve, sa bonne humeur et sa liberté en font bientôt la muse et la mascotte des Montparnos.

Kiki et ses coupains

Quelle vivacité, quel dynamisme ! Grâce aux passionnants et vifs dialogues de Bocquet, la bd suit un rythme effréné, rythme que le trait de Catel entraîne avec aisance et pétulance. Quelle plus merveilleuse façon de faire reprendre vie à de telles figures, que par le biais d’un dessin si vif et astucieux ? Entre 1916 et 1930, Kiki incarne la vie, dans un univers habité par des êtres aspirant à incarner l’art, dans leur conversation, leur mode d’existence, leurs choix de vie. Parfois futile et superficielle, inconstante et caractérielle, cette provinciale libérée offre une vraie vitrine pour ces hommes vivant souvent en reclus, croyant dominer dans des sphères intellectuelles. Elle rappelle que sans la vie, ils ne sont rien et mate tous ceux qui la confondent avec une putain (notamment dans le sud, où l’on ne fait pas la différence entre une morue et une Marie-couche-toi-là… La province, ces arriérés !). De Paris à la Riviera, en passant par New-York, Kiki sera de toutes les fêtes, jusqu’à son déclin.

It's prohibition 2

En passant, on apprendra quelques petites choses sur cette icône et ses comparses : qu’elle a vécu une dizaine d’années avec Man Ray (quand même), qu’elle montrait ses fesses à tout bout de champ, qu’elle savait se tailler les sourcils comme personne, ou encore qu’elle était bien accroc à la coco, dont je découvre un nouveau sobriquet : le « çakébon ».

Man et Kiki 1

Man et Kiki causent de faire un livre olé-olé ensemble…

Man Ray et Kiki 2

Man Ray a finalement bien publié les photos gros plan prises de ses ébats avec Kiki (dit comme ça, c’est très grivois).