5/7 La sélection naturelle

Peut-être est-ce une décision physique, qui par le biais des allèles de mes comptes-rendus, a choisi d’évincer l’ébauche de pensée portant l’onirisme au centre de sa préoccupation…
Un moindre mal pour la publication honteuse qu’elle aurait constituée ? Qu’en sais-je… J’étais pourtant excitée par les découvertes (à l’échelle nano certes, mais elle n’aurait pas tardé à escalader les premières marches la détachant d’un haut delà qui gît et gigote) de mon corps sur mon esprit et serais bien en peine présentement de me les souvenir. Quelle perte, mais dommageable !

Éprise de la lecture si enrichissante de mon vivant journalier de cette journée, il faut assigner à leur catalogue ces fraîches remarques toutes faîtes.

Rappel des faits : année 1913, le temps de la tournure. La rupture est telle qu’imprononçable : 1912 + 1, le cinéma est forain, le cubisme est irréel, et l’ère antique est trahie par ses poursuivants contemporains en mal d’identités à proprement celles d’un siècle. Une infidélité pour aspirer un air épuré et impur, et revenir en ses bras calmé de ces envies de mutation, plus fougueux, plus qu’amoureux.

Beaucoup de Nietzsche :

L’imaginaire symboliste grouillait de lacs reflétant des Narcisses, de palais hantés par des Salomés hystériques et des forêts où faune et fées se pourchassaient – toute une antiquité revue par Baudelaire, Byzance et le Japon : il était temps d’entrer dans le siècle de l’énergie vitale annoncé par Nietzsche.

Bien moins marquée à l’encre noire par ce nom de Nietzsche que l’on va retrouver encore : l’évocation de titres ouvragés (Le crépuscule des dieux, La naissance de la tragédie) a terminé mon enrôlement pour une lecture cursive de son œuvre. Non, là où nous nous plions pour ne pas se tendre sur l’asphalte un peu chaud car fraîchement retourné sur la chaussée, c’est plus que Baudelaire symboliste, Byzance et le Japon.
Byzance symboliste ? Ancienne Constantinople convertie à ces signes ? Et que dire du Japon, certes entrouvert depuis plusieurs siècles mais conservant encore les fondations de son imperméabilité ? De l’époque d’un siècle passé, je ne conserve que le souvenir des dames Butterfly et Chrysanthème comme romans occidentaux notoires dans l’archipel, et encore avaient-ils des protagonistes orientaux… Mais c’est brandir mon ignorance comme bibliographie : et si les années 70 sont forts de Rousseau ou de Zweig, c’est que je suis bien trop présomptueuse dans mes a priori… A piocher sans grand tardement.

Il perpétuait la veine héroïco-mythologique qu’exaltait Anna de Noailles et redisait l’assurance qu’avait Cocteau, après La danse de Sophocle, d’être l’un de ces dieux dansants qu’invoquait Nietzsche.

(pour un ballet actuel qui ne verra jamais la nuit des représentations brûlantes de l’époque)
il rédige les annonces que doivent proférer trois voix s’unifiant dans le pavillon à tonalité inhumaine d’un gigantesque appareil cubique afin de retrouver, à travers ce chœur moderne, la force de la tragédie antique que regrettait tant Nietzsche.

À titre d’ornements du répertoire de mots abrégés, peu d’intérêt à commenter ceux-ci…
Ornements apportant son affermissement.

Ainsi tournant le chapitre et me détournant des pages tournées, j’apprends au cours de ces pivotements que « le sucre fait rêver », que Cocteau en garnit sa bouche jusqu’en encombrer sa panse et que ses rideaux sont tirés deux fois le jour pour nourrir en rêveries ses écritures ; avec une stupéfaction scandalisée qu’Anna de Noailles dont il s’est détourné « joue à la marelle avec une pierre de l’Acropole », que Sodome fut changé en statue de sucre, que Cocteau est un antiquaire de l’absurde, et qu’un soir, car même le jour était nocturne dans la chambre noire et hermétique où il composait ses souvenirs, Proust aura dit que les critiques lui feront percevoir son livre « comme une glace conseillant le suicide »…

Sinistre citation. Pourtant la recherche fut achevée dans son incomplétude : alors si même les fragiles hypocondriaques ont cette force de construire et d’accomplir, d’où ne se révèlerait pas à nos membres, celle qui sommeille en deçà de nous ? Pourquoi sommes-nous au repos ? Est-ce qu’une tension infernale couvre une productivité invalide ?
Et si on sortait ?

Pour rembourrer ce vrac, citons la revue de l’époque « Le Mercure de France » : mais je sais qu’à mesure que j’accroche les encoignures du livre, plus encore je m’éloigne de ces questions initiales, puisque de l’instant qui les a vu naître et durer. D’où ces bifurcations nécessaires par des notes à la volée qui serviront leur scripte, bientôt.

Après ces années de dispersion géniale et d’imitation exaltée, un besoin de sobriété, d’ordre et de silence le (Cocteau) saisit. « Ces hécatombes de bibelots, ces autodafés de paperasses fouettent la mollesse, douchent l’âme », dira-t-il trois ans plus tard : c’était rompre avec l’art cumulatif et les surcharges mythologiques héritées du règne de Napoléon III.

Dois-je être une bête aveugle ?!
Que rapporte déjà cette anecdote de la paille enfournée dans l’œil du voisin, et de la poutre solidement accrochée au sien…
Rappelons-nous ce parallèle des XVII et XXème siècles : alors que Racine compose une Hermione bafouée d’un fatal hyménée, le roi Soleil inaugure ses salons de Mars et Jupiter, quand Poussin pas si lointain brosse des métamorphoses. Comment ai-je pu délaisser l’histoire impérieuse… Fille fi !
Mais le plus obscur reste à retranscrire avec la volonté de trancher d’Apollinaire dont les alcools seuls m’ont grisaillée en ère primaire de filière littéraire (et quelques calligrammes entraînée) :

À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

Lassitude d’un énième règne jupitérien des mythes qui ne prendra jamais fin : encore ce matin longeant les murs placardés du métropolitain, une affiche attire l’attention ambulante.
D’après Euripide et d’un adaptateur en –poulos d’écho grec, voilà que sont réincarnées les suite et fin d’Iphigénie, la biche sacrifiée.

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