« Macbeth does murther Sleep »

Macbeth, ce brave guerrier, est-il un couard devant ses ambitions ? N-a-t-il aucun courage pour lui-même, comme l’en accuse sa désireuse compagne, Lady Macbeth ? N’est-il qu’un homme moral, manipulé par des sorcières, éminences noires représentant l’ambition d’autres voulant renverser le roi d’Écosse ? Ainsi, Macbeth qui n’était qu’un loyal sujet aidant à la victoire du roi d’Écosse sur les Norvégiens devient-il, après une infortunée rencontre avec des sorcières lui prédisant un royal avenir, l’instrument de la tragédie. Bientôt, l’assassinat est résolu, leur plan mis à exécution. Macbeth, paranoïaque et sanguinaire, finit par transformer le royaume écossais en cimetière, obsédé par l’idée que sa sécurité viendra le jour où son règne ne sera plus sujet aux obstacles. Mais les Macbeth s’aperçoivent qu’il est bien difficile d’être calife à la place du calife quand on est rongé par la peur d’être découvert ou assassiné à son tour.

De multiples thèmes se côtoient dans cette courte et facile pièce de Shakespeare (ma dernière incursion chez le barde datait de l’année dernière, et j’avais manqué de persévérance après un début un peu âpre chez Les Joyeuses commères de Windsor). C’est tout d’abord une pièce sur la trahison. Peut-on faire confiance à un traître ? Faut-il trahir les traîtres ou ce catch-22 nous rend-t-il aussi imméritants et indignes de confiance ? C’est aussi la pièce des bravaches : les protagonistes fuient tous les uns après les autres, abandonnant femmes et enfants aux dagues des mercenaires mandatés pour faire couler le sang des rivaux. Et puis, c’est une pièce sur l’influence. Si les sorcières n’avaient pas, comme leur reproche leur maîtresse Hécate, lâché ces informations fatales, peut-être Macbeth n’aurait-il jamais tenté d’usurper la couronne, puisque de telles aspirations déloyales ne régnaient pas dans son cœur. Plus les actes passent, plus son comportement est imprudent, malavisé, périlleux ; il ne fait plus confiance qu’à la seconde prophétie, professée en milieu de pièce, probablement inventée de toutes pièces par l’une des sorcières (« Tu ne pourras périr que de la main d’un homme qui n’est pas né d’une femme », absurdité élaborée dans le but de le rassurer). La pièce se termine sur la critique d’une croyance aveugle, qui fait fi de toute raison.

Beaucoup de choses m’ont plu et m’ont rendu bien gaie dans cette pièce de théâtre qui ne perd de temps pour rien. Les spectres et les toqués sont toujours un régal chez Shakespeare (Le roi Lear est jouissif à cet égard). Ici, Macbeth a des hallucinations, il observe les couteaux venir à lui, comme s’il était forcé par des forces invisibles, par un destin trop fort. Il voit le sang perler, il croit que les pierres parlent lorsqu’il se déplace. Il est accusé d’être jusque l’assassin du sommeil, l’innocent sommeil… Superbe scène de banquet où Macbeth, ayant accès à une réalité supérieure, se juge téméraire de faire face aux spectres de ses victimes, tandis que Lady Macbeth vivant dans une tout autre dimension, celle du scalpel et des faits, de l’ambition et du pragmatisme, ne parvient pas à interagir avec lui et à le ramener à la raison devant leurs invités. Grosse gêne, le roi est barjo.

Lady Macbeth finit elle-même par succomber à la folie des actes. Son somnambulisme dans l’acte V révèle, pour la dame de compagnie et le médecin qui captent ses paroles, un cœur indigne de disposer d’un corps. Rongée par la culpabilité, somatisée par ses errances nocturnes, elle devient littéralement toquée et répète trois fois : « Au lit, au lit, au lit », avant de sombrer définitivement dans des ténèbres seyant son inhumanité.

On peut lire un merveilleux entretien à propos de Macbeth, avec la disparue Françoise Chatôt, metteuse en scène, et Jean-Michel Déprats, traducteur novateur de Shakespeare, publié dans la Revue électronique d’études sur le monde anglophone sur Revues.org.

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