Olivia Rosenthal à la verticale

La collection « Entretiens » a pour vocation d’explorer les relations que peut entretenir un écrivain avec les divers partenaires de la chaîne du livre. Il s’agit d’une collection des Presses universitaires de Paris 10 (quand Paris 10 n’était pas encore Paris-Ouest La Défense…), plus précisément initiées par le Pôle métiers du livre, sous la direction de Marie-Odile André (Maître de Conférence) et Isabelle Autran (responsable des Presses). Chaque livre de la collection est conçu et réalisé par des étudiants du pôle en édition.

Olivia Rosenthal parle des éditions Verticales

Salut Vaness' !

Olivia Rosenthal est une figure contemporaine de la littérature française, écrivaine expérimentale à projets, ayant publié principalement chez Verticales. Parmi ses œuvres phare, on compte : Les Fantaisies spéculatives de J. H. le sémite, On n’est pas là pour disparaître (prix Wepler), Que font les rennes après Noël ? (Prix Alexandre-Vialatte 2011, Prix du Livre Inter 2011, Prix Ève Delacroix 2011), Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Les félins m’aiment bien…

Son écriture s’apparente à une fictionnalisation du réel : après recherches analytiques (presque scientifiques) sur un terrain donné (la boucherie, la prison, le monde ouvrier…), elle remet en scène les données, en créant des situations fictionnelles, dans lesquelles elle insère beaucoup du monde, un peu d’elle-même. J’ai lu Que font les rennes après Noël ?, qui est constitué de deux à trois narrations imbriquées les unes dans les autres, où l’on observe l’évolution biologique et sociale d’une petite fille dans son milieu naturel, mise en parallèle avec la vie d’animaux divers, le travail d’un boucher, et des passages analysés du film La Féline (hello Jacques Tourneur). C’est un livre qui m’avait fascinée, après m’être doucement acclimatée au style expérimental, offrant au lecteur s’accrochant aux débuts un poil obscurs, le déploiement d’un être et de sa sexualité « hors-normes biologiques ».

Petite digression pour en venir au rapport d’Olivia Rosenthal avec les éditions Verticales. Somme toute, il faut déjà remarquer qu’Olivia se place souvent en retrait et prend un peu les questions à revers (questions parfois un peu consensuelles). Au cours de cet entretien, on y apprend que des éditeurs rejetant son manuscrit lui ont fait la leçon sur ce qu’est ou n’est pas un roman, qu’elle ne demande jamais son livre en librairie, ou bien encore qu’elle ne relit jamais ses livres une fois parus. Avant sa première publication acceptée, elle reçoit même un coup de fil de Jérôme Lindon refusant de faire paraître son manuscrit, mais désirant savoir qui elle est : au téléphone, figée, Olivia acquiesce en balbutiant, au lieu de défendre son œuvre, et s’en mord profondément les phalanges par la suite…

Un moment assez plaisant de la lecture est le récit de sa rencontre avec Bernard Wallet (un porche, sous la pluie), fondateur des éditions Verticales (instant Gala éditions de ce post : c’est également le partenaire de Lydie Salvayre, devenu aveugle, donnant lieu à sa publication BW, au Seuil en 2009) et la reprise du travail par Yves Pagès, après que Bernard W. tombe malade.

Olivia Rosenthal

Rosenthal laisse tomber le voile de la communauté unie d’écrivains sous une même bannière éditoriale : de fait, elle raconte que la seule tentative de se faire rencontrer les auteurs Verticales a été une vraie catastrophe. « On pourrait dire en fait que Verticales, c’est l’addition de singularités qui sont toutes moins solubles les unes que les autres dans l’eau (ou dans l’alcool). » D’ailleurs, Olivia, elle ne lit pas les autres auteurs, elle a un peu autre chose à faire (écrire, pour commencer).

Entre autres étapes de ce petit voyage, le rachat de Verticales par Gallimard (Olivia est optimiste, même si la transition a pu être un cauchemar pour les auteurs également engagés chez d’autres éditeurs) : elle tient d’ailleurs un discours désengagé sur les luttes éditoriales, discours qui se tient de son point de vue d’artiste, strictement engagée dans sa pratique. Discours facilement critiquable, car si l’on ne lutte que ce qui nous concerne directement à un instant T, alors les Luttes n’ont que très peu de chances d’aboutir à des issues heureuses… Mais soit, Olivia considère qu’il n’est pas de son fait de s’inquiéter de toutes ces contingences financières (et autres) liées aux pratiques de concentration éditoriale, c’est bien là son droit.

Du reste, on sent que Rosenthal est en retrait par rapport à tout ce qui se passe au-delà de l’écriture : elle laisse la maison gérer entièrement la partie promotion, dans laquelle elle considère ne pas avoir à s’immiscer, ou même interférer. Chacun son champ d’expertise, le sien est la création. Il en est de même pour la couverture de ses livres, ou encore dans ses rapports avec son éditeur, teintés de distance et de respect (ils se vouvoient, alors que tout le monde se tutoie chez Verticales). Il n’exige pas de compte sur sa productivité, de même qu’elle ne demande de compte sur leur activité. Tout le monde a sa place dans la chaîne du livre, et tout le monde s’y tient pour Olivia Rosenthal.

Un livre intéressant pour les lecteurs de Rosenthal il me semble, un peu moins pour les curieux de l’édition: on y trouve des détails intéressants, mais l’auteure n’est clairement ni une mondaine, ni quelqu’un d’investi dans la périphérie de l’écriture, et garde un rapport singulier et épars à ce qui se passe au-delà du point final de ses manuscrits.

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