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Écrire libre

Passion simple

Pendant trois ans, Annie Ernaux n’a rien fait d’autre qu’attendre un homme. Ses deux enfants sont grands, son travail d’enseignante et d’écrivaine occupent le plus clair de son temps. Et au beau milieu de sa trentaine, Annie Ernaux tombe les genoux en avant : c’est un diplomate, un homme marié, qui voyage, et qui la voit exclusivement chez elle. C’est lui qui la contacte, toujours, par téléphone. Si elle est là, il vient. Si le téléphone sonne en son absence, c’est tant pis. Son être et son esprit se soumettent corps et âme à cette passion.

Tout ce temps, j’ai eu l’impression de vivre ma passion sur le mode romanesque, mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode je l’écris, si c’est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu’elle se pratique dans les journaux féminins, celui du manifeste ou procès-verbal, ou même du commentaire de texte.

Il y a donc d’une part, la situation, celle d’une femme dont on a pitié, qui vit en autarcie dans ses pensées ne trouvant qu’une seule cible toutes ces années ; d’autre part, le projet d’écriture, cherchant à déterminer quel mode d’expression peut convenir à ce récit, qui ne soit ni le mode sentimental, ni le mode pornographique, qui constitue l’introduction de son livre. Passion simple se situe dans la droite lignée de sa tentative d’écrire au couteau : retranscrire les choses telles qu’elles sont, en échappant à une classification sociale, à la morale, au jugement. D’exposer au plus vrai. Un exercice d’écriture influencé par l’écriture de Camus : la simplicité pour la vérité.

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Elle décrit son comportement sans fioriture : et ça ne donne pas envie, autant le dire d’emblée. Elle ne garde aucun souvenir de ces années qui ne soit pas lié d’une façon ou d’une autre à cet homme, se rend d’une disponibilité à toute épreuve, ne demande pas de compte. Mais le tout est dénué de sentimentalisme : et on s’aperçoit que ce que cherche Ernaux, c’est un lieu de description entre les genres, trouver une brèche parmi le paysage de genres qui existent pour relater cet épisode. Le pornographique ? non. Le sentimental ? non plus. Ernaux se retrouve coincée entre plusieurs comportements contradictoires : son comportement et sa condition, sa conscience. L’écriture cherche à mettre par écrit quelque chose qui jusque-là a dû obéir aux codes de l’écriture féminine.

Un livre faussement simpliste, dont l’intérêt émerge en s’attardant sur la démarche et sa forme, car rien n’est anodin chez Ernaux qui construit une œuvre dans son ensemble. Il reste que je ne conseillerais pas celui-ci pour ceux et celles qui souhaiteraient découvrir l’auteure (plutôt La Honte ou L’événement).

Passion simple - Annie Ernaux ld

Quelques parallèles et renvois entre les couvertures Folio d’Ernaux

Passion simple, d’Annie Ernaux, paru en 1991, poche chez Folio.