Être ou ne pas être roux

L’histoire regorge de héros et héroïnes roux : de ce point de vue-ci, j’aurais pu m’attaquer au Marie Stuart de Stefan Zweig, à l’intégrale d’Agrippine ou au second tome d’Un ange à ma table de Janet Frame. En y réfléchissant bien, j’ai même pensé interviewer un nouveau-né, mes copains ayant donné la vie à un total roukmoute, mais à l’âge de 8 jours, l’animal n’était pas très bavard. Et puis, en passant en revue le catalogue d’éditeurs que j’affectionne sur Place des libraires, je suis tombée sur le livre de Meags Fitzgerald, au titre plus qu’évocateur : Longs cheveux roux ! Un résumé aguichant (Longs cheveux roux est un récit autobiographique intimiste sur fond de sorcellerie et de solidarité féminine, dans lequel Meags Fitzgerald revient sur ses premiers émois amoureux de même que sur la découverte et l’acceptation de sa propre bisexualité.) et la chance d’habiter près de l’une des trois librairies qui vendaient le volume (désormais plus que deux !), me voici partie pour vous le faire découvrir.

Dans ce récit relativement court, l’autrice-narratrice-dessinatrice canadienne nous invite à pénétrer son cercle familial et amical à coups d’avancées et de retours dans le temps. Née au sein d’une famille nombreuse et très bienveillante, religieuse mais aussi très tolérante d’autres croyances, le personnage anonyme de l’autrice (qui ne trouvera son nom qu’en dernière page du recueil) relate combien la construction de soi est une épreuve, ce malgré un entourage très présent. L’une des raisons avancées par Fitzgerald est le manque d’exemples dans la culture populaire. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ses références que je partage entièrement car nous sommes nées la même année : ainsi met-elle l’accent sur le bond en avant que constitue la relation de Willow et Tara (Buffy contre les vampires) telle qu’elle est montrée à l’écran, mais regrette que cette relation soit étiquetée « lesbienne » quand la fluidité de Willow s’apparente plutôt à de la bisexualité pour l’autrice. Ainsi voit-elle partout une difficulté à se penser lorsque l’on est pris entre plusieurs feux : le personnage doit tour à tour taire son goût pour l’un des deux sexes, choisir de porter ses cheveux très longs ou bien de les couper très courts, verser dans des cultures alternatives pour trouver la force de revendication de sa différence.

Ces Longs cheveux roux représentent à la fois son attirance vers le féminin et sa volonté de choisir une identité plutôt que de se la voir imposer. C’est ainsi que le transfert s’effectue en cours de récit : de l’envie d’être autre, on devient enfin soi. En parallèle, Meags Fitzgerald développe toute une réflexion sur le célibat, l’autosuffisance, la solitude heureuse. Loin d’imposer un point de vue radical, elle fait discuter son personnage avec une amie à qui manque l’expérience du couple pour montrer les différentes voies possibles, elles aussi fluides puisque la réflexion du moment n’induit pas que l’on ne change pas d’avis à court ou long terme. Du début à la fin, Longs cheveux roux expose avec beaucoup de vérité et de délicatesse la difficulté à se trouver, la recherche de soi, l’acceptation d’une forme de transition perpétuelle. Un autre ton que Fun Home d’Alison Bechdel, une histoire plus simple, moins calamiteuse, mais dans la même lignée de réflexion : je ne peux que vous encourager à le découvrir.

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