Un héros (pas) très discret

Tchitchikov, mystérieux personnage fraîchement arrivé dans la ville de N., s’adonne à un étrange commerce : rendant visite aux propriétaires de terres, il entreprend de leur acheter… leurs « âmes mortes » – leurs serfs récemment décédés –, en vue de se constituer une propriété fictive qui lui permettra de contracter un emprunt. Roman grinçant, vaste « poème de la Russie » destiné à mettre en lumière « la platitude de la vie » et « la trivialité de l’homme vulgaire », Les Âmes mortes, demeuré inachevé à la mort de l’auteur en 1852, est le chef-d’œuvre de Gogol.

Très bon cru russe en ce qui me concerne car j’ai passé un excellent moment ! Gogol marque sa présence dans le récit, par un constant commentaire des actions de son héros, des us et coutumes des uns et des autres, envoyant des piques à la société russe, puis lui décochant quelques flatteries ici et là.

Reste que l’entièreté de ce texte est une énigme : en effet, Gogol a écrit la première partie de l’œuvre sous l’égide de Pouchkine, son mentor poétique et l’humour s’en ressent. Mais Pouchkine meurt soudainement à 37 ans, dans un duel qui lui est fatal. L’état d’esprit, puis son écriture, change drastiquement après ce drame. Il cède peu à peu à une morale et une piété de plus en plus radicales. Les dix ou quinze années suivantes, il tentera d’écrire la seconde partie des Âmes mortes, avec une tonalité bien plus digne, sans humour, pour « expier » cette première partie. Il meurt avant de réellement pouvoir la publier, mais le livre s’en retrouve problématique : il est à la fois les deux parties, à la fois uniquement la première. L’auteur a plus ou moins renié la partie qui fut publiée, mais au sens contemporain, c’est pourtant la meilleure (j’ai vite lâché l’affaire de la seconde partie posthume). Bref, une œuvre un peu complexe à cerner dans son ensemble, mais dont la première partie (et seule publiée) a été un régal.

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