Une ville mouvante

Paris est une fête est le livre qui s’est probablement le plus vendu à la suite des attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo. Le titre explique à lui seul ce soudain besoin de refuge en masse et l’idée des libraires (et de Gallimard) de le mettre autant en avant (éditions collector à répétition bonjour). Je me suis toujours demandée ce qu’avaient pensé tous ces lecteurs anonymes, en ouvrant le petit volume et en découvrant qu’il s’agissait de vignettes plus ou moins confidentielles, sur les relations d’Hemingway, se déroulant entre 1921 et 1926 : ont-ils apprécié ce décalage ? Ont-ils été déçus, de ne pas trouver le réconfort tant espéré ? Se sont-ils pris au jeu, en s’échappant l’espace d’une lecture, du quotidien morbide dans lequel Paris était jeté ?

Paris est une fête

Pour ma part, j’ai fini par mettre le bouquin dans mon panier en refermant Shakespeare and Company de Sylvia Beach et Rue de l’Odéon d’Adrienne Monnier. Je trépignais d’impatience à l’idée de replonger dans le Paris littéraire du début du siècle dernier et j’avais déjà exploré la rue de Fleurus avec Gertrude Stein dans L’Autobiographie d’Alice B. Toklas. Mon opinion d’Hemingway étant limitée à ma lecture assez indifférente du Vieil Homme et la mer, j’espère bien pouvoir ressortir de ce recueil avec un souvenir plus prononcé.

Certes, il fait bon de se promener entre la montagne sainte Geneviève et le boulevard Montparnasse, de manger et de boire (ah, ça y va les huîtres, le vin blanc et les fine à l’eau) et se rencontrer entre expatriés, dans ce Paris après-guerre où déjeuner en terrasse est la norme et ne coûte pas bien cher. Le livre contient quelques anecdotes sympathiques : comme le fait que les personnages de ses histoires deviennent gloutons à mesure qu’il s’affame de plus en plus pour économiser ses ressources ; comment Gertrude Stein n’encensait que les auteurs qui l’encensaient elle-même ; comment sa première femme, Hadley, voulant lui faire une surprise, égara la totalité de ses manuscrits et de leurs quelques copies, en les emportant tous dans une valise dérobée dans une gare suisse (… adieu, œuvres de jeunesse !). Ou encore comment les Scott Fitzgerald étaient des gens turbulents, buveurs et les plus mauvais compagnons de voyage que vous verrez jamais. En filigrane, on y découvre un Hemingway qui n’était pas fêtard ; un bon buveur solitaire, qui rencontrait quelques personnes mais vouait ses journées au travail d’écriture, sur une table de son petit deux pièces ou dans des cafés ne faisant pas dans le tapage. Ernest se dépeint comme un bon bougre qui ne louvoie pas.

ernest_hemingway_paris_1924

Les textes assez triviaux sont éclairants sur le Paris après-guerre, le mode de vie bohème des auteurs, amusants par moments, confidentiels par d’autres : rien de franchement transcendant. Au croisement d’entrées de journal et de vignettes, certains semblent rapporter leur quotidien tel qu’il se déroule, sans grand chamboulement, avec des sorties récurrentes aux courses hippiques qui m’ont fait un peu bailler, ou le récit des séjours à Schruns, en Autriche, à faire du ski. Certaines parties de récit sont entraînantes ; d’autres, on ne comprend pas vraiment l’envie de nous décrire par le menu détail des journées où il ne se passait rien en dehors du passage d’une célébrité. Je reconnaîtrais quand même que j’ai une meilleure opinion d’Hemingway en refermant ce volume : toujours le mensch ombrageux et misanthrope que l’on sait, un moustachu viril traditionnaliste, mais doté d’un anti-conformisme intègre que je ne soupçonnais pas, ainsi que d’un esprit d’indépendance des plus sympathiques.

C’est comme si ce livre avait émané d’une mixture de difficultés à trouver des sujets sur lesquels écrire, et d’une certaine nostalgie pour un temps plus simple, des caractères plus francs, des conflits plus antithétiques. Je ne crois pas qu’il faisait bon d’être Hemingway penché sur sa table alors que les galops d’années lui passaient dessus. Ça sent l’homme tourmenté, voire littéralement désœuvré, et son suicide (peu après avoir laissé une première mouture de son manuscrit à un éditeur) donne du grain à moudre. Quant à mon avis pas chaud pineau, peut-être mes anciennes réticences sont-elles à la source de mes nouvelles résistances ; peut-être suis-je vouée à demeurer à la lisière des textes d’Hemingway, tout simplement.

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