Fer-battre le macadam en pneige

Paul dans le Nord

Je n’ai pas lu énormément de nouveautés cette année déroulante – aucune en fait, si l’on fait exception du livre de bell hooks que Cambourakis a sorti en septembre 2015 (mais quand même publié pour la première fois dans les années 80…) – aussi j’étais assez contente en finissant Paul à Québec de constater que Rabagliati sortait un nouveau Paul en octobre. La couverture me met immédiatement la puce à l’oreille : on y voit Paul et un copain à lui, couverts des pieds à la tête, guettant l’horizon tandis que leurs deux pouces sont tendus vers la route. Road trip, tabernac !

Auto-stop

Paul va avoir 16 ans et ses parents viennent de déménager. Intégrer une nouvelle polyvalente, se faire de nouveaux amis… La barbe ! Seule une chose lui semble désirable : cette mobylette Kawasaki KE100, qu’il rêve d’enfourcher pour battre le macadam. Mais voilà-ti pas qu’il rencontre Tit-Marc, un grand maigre à la cool attitude, qui va lui faire découvrir le rock, les potes, les road trips et l’amener à ses premières expériences avec ses blondes. Entre l’acné, les déconvenues amoureuses, le pot et les binouzes, les seins et les guitares, Paul traverse sa crise d’adolescence l’air de rien, et en émerge le pouce levé.

Le rêve de PaulPaul et l'acné

Nous sommes en 1976 et Paul est un ado, sacré crisse ! Adieu gmap, gsm et mp3 ; bonjour 45 tours, téléphone fixe et crame directe quand une midinette appelle. Et qu’est-ce que ça sacre dans Paul dans le Nord ! Si la narration rétrospective de Paul est dans un français international, à l’intérieur des bulles, c’est la débandade. Rabagliati se sert des dialogues pour ramener les situations et les personnages à la vie et en 1976 : « Cibole », « Ayoille, ostie d’malade ! », « Calvâsse ! », « Maudite marde »… Ça déménage !

Incartade playlist Paul dans le Nord :

Ginette Ginette

Aut’Chose, « Nancy Beaudoin »

Octobre, « Maudite machine »

Beau dommage, « Ginette »

Garolou, « Germaine »

Offenbach, « Câline de blues »

Lucien Francoeur, « Le rap à Billy »

Tit-Marc fait découvrir le rock

Rabagliati décrit l’état d’effervescence dans lequel on se trouve à l’adolescence, et le regard tour à tour compréhensif, impatient et impuissant des adultes autour. Les sautes d’humeur sont au rendez-vous, les copains sont le sens de la vie et les filles rendent complètement niaiseux. Paul s’amourache et c’est comique : naïf, niais, collant et sans aucun sens de la dignité. Tandis que son père loue le ciel d’avoir un peu de répit et cite la chanson de Sonny James, Young Love, l’œil plus sage de sa mère anticipe la déconvenue. Nous, on se réjouit, c’est l’occasion de voir Paul en slip, roulé en boule dans sa chambre au milieu de ses déchets, à geindre comme c’est pas permis.

Paul et sa blonde

Paul geint

Comme dans Paul à Québec, la sortie de scène a quelque chose de métaphysique, l’auteur usant de plans aériens, la nature se superposant à l’urbain. Rabagliati s’intéresse toujours autant aux espaces et leur transformation. La route et les allers-retours (notamment entre ville et campagne) est le grand sujet de ce tome, facilité dès que Paul fait l’acquisition de sa mobylette tant désirée. Paul est en transition, un peu là-bas, toujours ici, jamais complètement à l’aise dans un endroit comme dans l’autre. Intense dans toutes les circonstances : comme sur son engin pétaradant, il s’agit de progressivement, sans aucun moyen d’accélérer le processus de grandissement, trouver un lent mais sûr équilibre.

Nous pendions dehors

C’est avec un grand plaisir que je clôture mon année 2015 de Bingo, en compagnie de ce livre évasion grand froid. Le sujet – moins dramatique que Paul à Québec – en fait une lecture que j’ai trouvée réconfortante, lue emmitouflée dans mon plaid, une tasse de café bien chaude ou une bière bio bien fraîche sur la table de chevet, selon l’humeur du soir. Un vrai coup de cœur pour ce tome de Paul, qui serait la sortie de scène de son héros éponyme d’après l’auteur.

Tempête de neige

Je m’en vais dorénavant étirer mes membres endoloris, après ce sacré sprint de fin d’année dont je ne me croyais pas capable en commençant mon programme de rattrapage courant octobre. Je m’en vais mettre le nez dehors, renifler du flocon, humer du sapin… Et je vous souhaite à tous un merveilleux mois de décembre et une belle et lumineuse fin d’année 2015.

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