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Horrifique enfantine

J’ai un peu hésité, avant de reprendre la routine du mardi matin et du billet ponctuel. Et puis j’ai réalisé que le Bingo m’avait permis une vraie respiration, au cours de ce week-end anxiogène, face aux images et aux pensées sombres. Lire, malgré une concentration parfois difficile, a été primordial, pour garder la tête un peu fraîche. Aussi je n’hésite plus et je me permets de vous parler de Coraline, de Neil Gaiman.

Coraline - Neil Gaiman

La petite Coraline et ses parents viennent d’emménager dans un nouvel appartement. Oui mais voilà, les parents de Coraline ont du travail et manquent de temps pour s’occuper d’elle. Aux autres étages, elle se distrait à l’aide de deux vieilles voisines, actrices défraichies revivant leurs exploits d’antan, et d’un vieux monsieur vivant au grenier avec ses rats. Et puis ce n’est pas tout : il y a cette drôle de porte dans le salon, qui donne sur un mur de briques rouges. La mère de Coraline lui explique qu’il n’y a rien derrière cette porte condamnée, rien d’autre qu’un autre appartement ressemblant exactement au leur. Un après-midi d’ennui, Coraline ouvre la porte et découvre un couloir tout noir, au bout duquel se trouve… un autre appartement tout comme le sien. Sauf qu’un peu différent : dans ce monde parallèle, son autre mère est un peu plus pâle, un peu plus grande, ses doigts sont longilignes et courbés et ses yeux sont des boutons. Mais cette mère-là n’essaye pas de l’envoyer balader : oh non, cette mère-là veut la garder pour elle… et pour l’éternité !

Plus très habituée à lire des œuvres adressées à des enfants/ados, j’ai cru que le style parfois un peu explicatif serait un frein à l’enthousiasme que j’allais éprouver à la lecture de ce prix Hugo. Il s’avère rapidement n’en être rien : bien que le style reste de toute évidence ciblé vers un public plus jeune, l’histoire tourne rapidement à l’horrifique. Cette autre mère qui se voudrait rassurante est en fait repoussante au possible : elle se gave de cafards qu’elle décortique et croque onctueusement (irk). Coraline, qui finit par se faire enfermer « de l’autre côté », se fait poursuivre par des rats, attraper la jambe tandis qu’elle tente de s’échapper par la trappe d’une cave, prendre au piège derrière un miroir… On frissonne et on serre les dents !

Coraline

Le personnage de Coraline est un personnage de petite fille forte : son caractère téméraire ne se laisse pas débouter et convaincre trop vite, toute fringante qu’elle est dans son imperméable bleu (dans le livre) et ses bottes jaunes. Un modèle d’enfant libre et anti-conformiste, qui déclare à sa mère qu’elle n’aspire qu’à des vêtements qui la feront sortir du lot à l’école (clap clap clap). Si elle est tentée quelques secondes de croire aux mensonges du clone de sa mère, qui sont aussi la projection de ses propres peurs et cauchemars (« tes parents seront plus heureux sans toi », « au fond ils ne t’aiment pas », etc.), c’est pour mieux se reprendre très vite et faire battre en retraite ces propos insidieux, en raisonnant dans son (jeune) for intérieur. Coraline apprend à ne compter que sur elle-même, et c’est elle qui sera l’instrument de la libération de ses parents. Elle fait montre d’une témérité et d’une intelligence exemplaires pour les jeunes lecteurs : bravez l’obscurité, petits, car on en ressort que plus grands.