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Imagie du quotidien

Alors que je rentre dans mes pénates, ce soir de semaine bien entamée, que je m’assoie sur le bord de mon convertible, qui n’a pas été replié depuis plusieurs jours, déposant mon sac sur le parquet, et étalant mes jambes courbaturées tout du long du rebord, mon œil balaye mes étagères, et s’arrête sur le petit livre des Coquins. J’avais songé un moment l’utiliser pour la catégorie « livre offert mais jamais lu », ou bien pour celle du « livre érotique ». Mais ce petit livre sans parole me semblait manquer de piquant et j’y avais renoncé. Puis soudain, un hasard. Une idée. Taper le nom de Marion Fayolle, l’auteure des Coquins, dans Google. Le résultat est épatant et l’issue inattendue : née le 4 mai 1988. Voilà un mille piqué.

Ni une, ni deux, direction La Sardine à lire dès la semaine suivante, et hop, La Tendresse des pierres est remporté dans la besace à Bingo.

Marion Fayolle

Marion Fayolle est jeune et pourtant ses œuvres (nombreuses, si l’on tient compte de son âge) ont déjà été traduites (Drawn & Quarterly, Nobrow…). La Tendresse des pierres paraît en espagnol cet hiver. Elle planche sur un nouvel ouvrage, à paraître prochainement il semblerait, ainsi qu’une nouvelle édition de L’Homme en pièces pour février 2016, aux éditions Magnani cette fois. On compte aussi pas mal de dessins de presse parmi ses productions, pour le New York Times, Les Inrocks, Télérama, Milk, Marie-Claire, Clés, Muze, Psychologies… Ajoutez à cela les motifs qu’elle a conçus pour une collection de Cotélac, ses interventions physiques, et vous avez un aperçu d’une jeune artiste plutôt variée.

La Tendresse - prologue

La Tendresse des pierres raconte la maladie de son père – un cancer du poumon – sur un mode surréaliste. L’histoire débute avec l’enterrement du poumon droit, aussi lourd qu’un rocher, qui dans une sorte de procession antique, vient se retrouver dans la terre, recouvert tout entier. Cet enterrement signe le début d’une suite de transformations, au cours desquelles le père de Marion va perdre l’usage de sa bouche, se voit installer une parure à nez autour du cou (il est enruban-nez), tire son poumon sur un petit chariot, se transforme tour à tour en enfant puis en roi despotique, avant le dénouement final. La maladie est déclinée sous de multiples facettes, pour essayer d’appréhender ce que cela représente pour le malade lui-même, et pour son entourage.

La Tendresse - enruban-nez

C’est l’occasion pour Fayolle de s’interroger sur son rapport au père (et à la famille), et à son écriture (le pouvoir du crayon : écrire sur cette histoire, est-ce une sorte de superstition, de penser jouer, rejouer, déjouer la maladie ?). Le tout est servi par une fin douce-amère, qui est une très jolie sortie de scène.

La Tendresse - destructuration

Ses personnages sont impersonnels, ils sont là pour symboliser des situations, des idées, des réactions. Elle le dit dans son descriptif de l’ouvrage sur son site, les images sont aussi des mots, des objets, comme c’est exprimé sur la couverture, où Fayolle et ses parents sont installés dans un décor de carton-plâtre, comme dans une maison de poupée ou sur une scène de théâtre. Tout est déplaçable et re-modulable à souhait, dans le but d’exprimer un maximum de combinaisons, de possibles, avec le postulat de départ. Extraits du livre ici, pour avoir un aperçu de son style si particulier.

De son côté, Les Coquins est un livre muet. Chose étrange, il a pourtant déjà bénéficié de plusieurs traductions : en espagnol, en italien, en portugais… On comprend très vite en ouvrant le petit ouvrage regorgeant de trouvailles graphiques pourquoi les étrangers s’en amourachent au point de vouloir le distribuer avec un titre traduit.

Les coquins - minous et scie

Finies les formes purement phalliques ; bonjour formes seiniques, mamelonesques, lochantes ! Les parties génitales deviennent les éléments d’un ensemble de jeux de mots et d’images. Le sexe est un objet propre à être manipulé pour le jeu, la transformation, l’élucubration, comme il le subit souvent aux prises des discours de tout bord. Ici, Fayolle a décidé de lui rendre toute sa malice, sa magie du quotidien. Le(s) sexe(s) est plus bête que méchant.

Les coquins - un amour de salade

C’est un livre un peu pour tous les âges : les adultes, de toute évidence, pouvant pleinement apprécier les références et les clins d’œil, souvent simplement mignons et attendrissants, parfois malicieusement grivois, mais aussi les enfants, qui pourront s’en amuser sans y voir quelque chose de réellement signifiant.

Les coquins - corrida

Quand on lit les œuvres de Fayolle, on a l’impression qu’il s’agit d’une fenêtre sur des moyens de réinventer le réel en le découpant et en le re-composant. La vision des choses peut être sublimée par notre esprit et ses associations d’idées. Le visuel contient une infinité de couches et de combinaisons. Qu’est-ce que le regard ? C’est pousser l’œil au-delà de la vision, pousser l’œil à chercher le contour des choses qu’il entrevoit, pousser l’œil à constituer sa vision. L’œil et l’esprit sont des metteurs en scène.

Fayolle parle très bien de ses ouvrages, elle a une pensée bien articulée sur sa pratique : des extraits de son mémoire sur son site permettent d’une part de constater la réflexion qui se niche derrière ses histoires imagées, d’autre part d’en comprendre et de commenter certains mécanismes, perceptibles à la lecture.