Tag: Asimov Isaac

Fondation

Je reconnaîtrai un avantage indéniable à ne jamais lire de science-fiction : on a le choix ! Et j’étais donc bien contente de m’apercevoir que Fondation faisait partie de la sous-catégorie « Hard SF » pour la majeure partie (voire l’unanimité) d’Internet (je dis cela parce que j’ai eu le droit à un sourcil levé de Jean-Bingo, quand j’ai partagé mon choix) (et Jean-Bingo a tellement levé les sourcils dernièrement, je ne voudrais pas qu’il en arrive à les installer de façon définitive au niveau du front pour leur éviter la navette ;-). De par sa notoriété, son influence, ses sympathiques fans, c’est de loin la lecture qui m’a le plus tentée (c’était aussi endurable en terme de pagination, avouons-le) (l’inconnu fait très très peur quand il se présente sous la forme d’une grosse brique).

Fondation - Mister Asimov lit

Nous sommes au début du treizième millénaire : il n’est plus question de parler de la Terre, de Mars, du Soleil, toutes ces notions archaïques qui n’ont plus lieu d’être, puisque la Galaxie toute entière a été colonisée par les humains (à peu de choses près). Une planète (?) a vu s’établir le gouvernement impérial et chapeaute plus ou moins bien tous les astres colonisés tout autour. Oui mais voilà, en treize mille ans, beinh il y a eu quelques dérives, et un grand scientifique de l’Empire tire la conclusion que cette ère tire à sa fin, que l’Empire, aux prises de prochains soulèvements qui mèneront à une sorte de chaos politique, sombrera bientôt. Hari Seldon est un « psychologue », et sa science s’appelle la psycho-histoire : globalement, il déduit les phénomènes sociaux et politiques qui sont censés découler du train auquel les choses actuelles vont (ça existe vraiment).

Alors évidemment, les prophètes annonçant l’apocalypse sont jamais les mecs qu’on invite aux soirées (je casse l’ambiance bonjour !) et du coup pour qu’il fiche la paix à l’Empire, on l’envoie à l’autre bout de la Galaxie, sur une planète excavée peu de temps avant et donc inhabitée, portant le petit nom de Terminus : Hari, en compagnie de cent mille personnes, s’y installe, dans le but de fonder une colonie de scientifiques, qui se consacreront à l’écriture de la plus vaste encyclopédie jamais rédigée. Le but de cette encyclopédie galactique ? Rassembler l’ensemble du savoir universel pour que, lorsque les planètes et les astres commenceront à sombrer dans la guerre, le conflit, le chaos, les générations survivantes aient de quoi reconstruire un monde en deux temps, trois mouvements. Sinon imaginez le désastre : l’ère australopithèque le retour.

Mais Seldon est tellement le prophète des prophètes, qu’il a un peu manipulé tout le monde (Hari Seldon, c’est ce type à on attribue l’origine de l’expression « ni vu, ni connu je t’embrouille »), sur la façon dont l’univers allait décliner : il avait prévu les petites brouilles humaines et les terribles défauts naturels de ces monstres de chair qui viendraient enrayer la machine mal huilée de l’évolution. Cinquante ans après l’arrivée des premiers migrants sur Terminus et la création de la Fondation, un hologramme de Hari (décédé au début du bouquin, après l’annonce de l’apocalypse) est extrait d’un caveau : le scientifique avait enregistré un message adressé aux générations suivantes. L’Encyclopédie n’est qu’un leurre (… whaaaat ?) ! Il s’agissait plutôt de créer une oasis dans tout cet univers belliqueux, où les graines d’une nouvelle ère pourraient être plantées en toute sérénité (ou presque).

Geekation_Isaac_AsimovAsimov, précurseur du duckface ?

Bon. Je vous avoue que les vingt premières pages, j’ai eu… très peur. Mais finalement, la situation est très vite exposée de façon limpide – par le biais d’un dialogue (qui est la re-transcription d’un procès). Et de fait, Asimov va en réalité utiliser la voie (la voix ?) du dialogue pour faire avancer l’histoire : il n’y a pratiquement aucune scène d’action à proprement parler, l’action se déroule entièrement via les stratégies élaborées par chacun des personnages occupant la place des chapitres thématiques. Tactique, stratégie, planification… Voilà comment Isaac Asimov envisage la science-fiction dans Fondation : elle est avant tout une pensée, côtoyant d’autres pensées. Une pensée cherchant à se dépenser et à se dépasser.

Au bout de deux cent pages, d’exposition des systèmes politiques et sociaux, d’intrigues, voyant les personnages de différents conseils et gouvernements se rencontrer, leurs systèmes exposés… Je m’aperçois que je n’ai pas croisé le chemin d’une seule femme. Asimov, ce « progressiste » bien de son temps ! Il y a un milliard d’habitants dans cette galaxie, il y a des milliers (millions ?) de planètes et d’étoiles colonisées, la galaxie est sous le pouvoir d’un empire civilisé… mais pas de femme scientifique ? Politicienne ? Des ovaires, quelque part ? Pas étonnant que cette galaxie s’effondre !

Russian-born American author Isaac Asimov is seen in 1974. (AP Photo)

Je vous prie à présent de bien vouloir accueillir l’intervention de notre camarade, Simone la grognonne.

En fait, la première mention d’une femme vient d’une démonstration d’un marchand, qui souhaite expliquer la nécessité des biens qu’il tente de mettre en circulation sur sa planète, restée à l’écart du négoce impérialiste de la Fondation : soudainement, la femme fait son apparition, car il y a tant de choses à lui vendre ! Des bijoux, oui, mais pas seulement : on nous parle également d’une « foule d’articles ménagers » : des fours démontables, des couteaux, des buanderies, des laveurs vaisselle, des frotteuses de parquet, etc… C’est un vrai délice d’être une femme dans Fondation.

Fin de l’intervention de Simone.

À force de ne donner que la parole aux fins stratèges, on se retrouve face à beaucoup de paradoxes. Par exemple, un intéressant postulat est celui d’imaginer s’il n’y avait pas eu le canular de Seldon, dans le chapitre des Encyclopédistes (l’utilité même d’une Encyclopédie donc), s’il avait fallu réellement envisager le projet de ces puristes qui souhaitent rendre pérenne le plan original de Seldon, en gardant en tête qu’il ne faut pas en dévier Versus les gens qui habitent désormais réellement sur la planète et qui n’ont pas ce but long terme dans la tête, mais tous les dangers court-terme et les moyens de subsistance qu’il faut mettre en place. Cette problématique de la vision politique et active (grand dessein contre nécessité de s’adapter aux difficultés immédiates) est soulevée pour être regrettablement entérinée. Qu’Asimov ait fait de ces « universitaires » des êtres à ce point coupés de la réalité pratique et tactique est un peu dommage dans le fond, bien que la critique soit aussi bienvenue (d’autant plus si l’on tient compte de son statut de professeur) …

Il y a quelques années, j’ai lu l’excellente Histoire du capitalisme  1500-2010, de Michel Beaud. Eh bien, avec les différents chapitres de l’évolution de la Fondation, j’ai eu l’impression d’en lire l’application, ce qui devient limpide dans le chapitre consacré à l’idéologie marchande. Ça sent bien fort le communisme, quand on déchiffre tout le discours autour de cette religion créée de toutes pièces afin de conserver les intérêts économiques, politiques et sociaux d’une seule nation. L’expansion de la croyance pour garantir la pérennité d’une petite partie de la population.

Asimov - Comme ça c'est dit

En tous les cas, il y a toujours un bien moindre mal, et on part du principe que la vérité n’appartient pas à la masse, sauf quand cela sert les intérêts de plus grands desseins. Mais l’idée mérite sa petite application : et s’il y a avait eu un projet mûrement réfléchi, de monde meilleur, de possibilité d’arriver à un monde amélioré, tout en traversant ce que le livre appelle des « crises » (des ères où les erreurs sont commises et admises, puisqu’elles font partie de l’équation globale et dépassées)… est-ce que le monde aurait été améliorable par ce biais ? C’est un raisonnement plein de défauts que tient Asimov, même dans ses meilleures parties, mais qui vaut vraiment la peine d’être exploré, pour faire avancer la recherche. Un livre très riche, qui fait réfléchir à foison et que l’on ne peut que conseiller.