L’écriture mathématique

Les Surréalistes, prenant la manière pour la matière, comme font tous les vulgarisateurs, se figurent que la ligne est devenue une vibration et par conséquent susceptible de les entraîner par elle-même à des hauteurs sublimes. Lui [Picabia], qui sera le créateur de cette ligne de vibrations, sait très bien qu’elle n’existe pas encore, et qu’en tout cas elle ne peut pas exister en elle-même, mais dépendra toujours de l’émotion de celui qui est à l’origine de la vibration.

par Alice B. Toklas, L’autobiographie de Alice Toklas,
de Gertrude Stein

Cette ligne, c’est la vision de l’artiste du caractère humain, une vision sensible et tactile, empreinte de délicatesse.

Souvent revient cette interrogation parmi les uns, se tapit latente au plus profond des autres, sur les écritures du simple. Non pas les écritures du commun, qui sont des écrits prenant pour portrait la vie triviale et ses réalités les moins surchargées (ce qui ne signifie pas qu’elles ne soient donc pas chargées au naturel, en partant pour idée que le nu est un plein), mais bien les phrases décomplexifiées au rendu dénudé. Non pas les parlers les plus triviaux, bien que cela aussi on puisse le considérer comme un autre marchepied, mais bien ces auteurs érigés comme classique, et dont le classicisme nous parait énigmatique de vacuité.


Souvent, l’académie élucide quelques uns des mystères entourant leur piédestalisation : parce que leur classicisme jadis était moderne et que la rupture est une Histoire à laquelle s’entremêlent circonstances, vifs esprits et émulsion épocale. Parce qu’aux extraits peu parlants, suivent d’autres récits plus édifiants. Parfois des explications de texte apportent du fuel à nos lanternes, et souvent la vie emmenée des protagonistes de ce nouvel incipit littéraire contribue à la digestion de toutes ces informations.


Dans L’autobiographie…, c’est par d’autres explications que Stein élucide le préambule de l’énigme : c’est l’interprétation mathématique de cette conception, de laquelle tout sentiment doit être banni. Il s’agit de dépeindre dans l’exactitude externe la plus entière, sans, non pas s’embarrasser, mais sans laisser interférer tout sentiment, toute remarque, tout commentaire qui ne soit, qui n’est pas de la littérature. L’émotion puisque non intellectuelle, ne doit pas être la cause de la création : celle-ci se substitue à la réalité comme forme de reproduction et d’expansion dans le temps, l’espace et les masses. L’équilibre, le rythme, la syntaxe. D’où cette idée de triade où figurent Erik Satie et Juan Gris alignés de front à Gertrude Stein.

Fustre, me voilà de retour parmi les décombres de la Lost Generation, and all that jazz!

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