Cela fait longtemps que je n’ai pas causé en badaude, pas depuis l’excursion londonienne où l’on pouvait apercevoir quelques miettes de la merveilleuse baguette littéraire qu’est Daunt Books. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir écumé les recoins ici et ailleurs (j’ai dans ma manchettes quelques cartes, néerlandaise et slovaque) mais il faut croire qu’il fallait un point de chute drôlement puissant pour faire re-démarrer la machine. Mon excursion hivernale à Montréal a enfanté l’occasion.
Le Mile End, ce quartier dit hipster coolos jeunes artistes de Montréal. C’est aussi le quartier juif, le quartier des Dieux du ciel, microbrasserie uber populaire nouvellement installée. Beaucoup d’habitations, quelques magasins de fripes, des bars à ping pong, des cake shops, des galeries antiquaires arty, le Wilensky’s, le Dépanneur café et ses grilled cheese cheddar-mangue-coriandre accompagnés de soupe de patate douce, et deux institutions du bagel : on aime les pretzels vendus sur Fairmount ; mais St Viateur demeure l’enseigne historique du quartier, depuis 1907 (en témoignent les nombreuses coupures de journaux accrochées au mur).
Au 211 avenue Bernard, en plein centre du Mile End, la voici qui pointe le bout de sa devanture, souvent changeante : c’est la Drawn & Quarterly Bookshop, la librairie de la maison d’édition de bande dessinée Drawn & Quarterly. Plus de vingt-cent ans d’existence pour cette maison indépendante, fondée par Chris Oliveros, et s’étant établie comme l’une des mines d’or d’Amérique du Nord. Born and raised in Montréal, la maison édite des auteurs canadiens anglophones, francophones, des auteurs américains et a exhumé des œuvres d’origines les plus diverses. On retrouvera beaucoup de francophones dans son catalogue, ceci dû à son positionnement géographique et sa proximité avec les auteurs et les éditeurs québécois. Parmi ses fers de lance, on retrouve Chester Browns, Chris Ware, Daniel Clowes, Adrian Tomine, Tom Gauld, Kate Beaton, Seth ; Julie Doucet, Julie Delporte, Pascal Girard, Michel Rabagliati.
J’ai un peu craqué mes mâchoires en y pénétrant la première fois. D’autant que c’était le Boxing Day (le 26 décembre) et que pour chaque livre acheté, le second était à – 40 %. Adieu salaire de décembre.
Un samedi midi, rempli. Des clients de tous les âges, anglophones et francophones, écument les étagères.
Un soir de semaine, plus paisible. On peut observer les jeunes libraires geeker silencieusement, semblant parfois flotter entre deux dimensions…
Drawn & Quarterly est une librairie plus ou moins généraliste (un coin jeunesse, un coin fiction, un coin non-fiction, un coin cuisine…), dont le fonds est majoritairement dédié à la bande dessinée indépendante. Impossible d’en faire le tour en moins de deux semaines à s’y aventurer quotidiennement. Les étagères tapissent les murs de haut en bas, les livres sont empilés, dérangés, rangés. Les éditions sont souvent très belles, les libraires prenant soin d’exposer les oeuvres où les graphistes ont eu la main-mise.
Le coin jeunesse est merveilleusement fourni, et on notera naturellement la grande collection de Moomins, ou encore les peluches Pony, conçues d’après le conte de Kate Beaton, La Princesse et le poney. À 30 dollars canadiens la peluche, j’ai été freinée in extremis. Il en aura fallu de peu pour que je ne dévalise pas le magasin d’une manière insensée (non mais une peluche, pourquoi…).
On y trouvera de la fiction et de la non-fiction, avec un choix de belles couvertures mises en avant.
Impossible de s’intéresser décemment aux étagères : il y avait déjà tant à faire avec les livres en exposition sur les tables… Les stars du moment sont indubitablement Adrian Tomine, avec Killing and Dying. Kate Beaton et ses deux volumes de Hark! A Vagrant et Step Aside, Pops bénéficient d’une visibilité assez incroyable, entre sa mise en avant sur les présentoirs et sur le haut des étagères. Tom Gauld n’est pas en reste, figure d’enfant chéri et chétif de la maison, exploité pour illustrer le tote-bag de la librairie et le livre commémoratif des 25 ans de la maison d’édition ; et en dernier clin d’oeil, on note l’édition anglaise de La collectionneuse de Pascal Girard, “Petty Theft”.
Bien entendu, toutes les belles éditions des classiques sont dispersées ici et là. On retrouve les Penguin Drop Caps, les Clothbound ainsi que les Jane Austen décorés par Leanne Shapton, également éditée par D&Q. À ce stade, il n’y a plus qu’à cesser de lutter et se laisser tenter par un élément du décor.
Le plus parfait puits à flânerie.