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Illegitimately hit

Je lis Annie Ernaux, donc je lis Valérie Trierweiler ?

Nous sommes en mai 2015, près de huit mois suivant ma dernière chronique jetée à l’amer. Un silence amené par quelques trépidations professionnelles, passant le griffonnage après l’happe-âge. Et par quoi, ce grand retour, sera-t-il orchestré ? Le nouveau Éric Chevillard ? La troisième essai de Maria Pourchet ? L’engouffrement de Bartleby ? Non mes aimis, je vous le donne en meule : la lecture de la meilleure vente 2014 qui a fait stagner tant d’encre depuis presque un an.

Pour bien saisir cette sortie inhabituelle de ma zone de confort, il faut prendre en compte la caution déterminante de la quatrième de couverture de l’édition poche, aperçue dans un kiosque de la gare Saint Lazare, hier, en déclin d’après-midi :

C’est le livre d’une femme libre qui refuse de se plier au silence qu’on exige des compagnes des hommes politiques, alors que ces derniers exposent sans vergogne leur vie privée. C’est la prise de parole d’une femme à qui on a toujours fait sentir qu’elle était illégitime dans sa place et qui a été littéralement répudiée.

Annie Ernaux, entretien dans Elle

Quiconque me connait un peu sait, malgré sa flagrante absence des lignes de ce blorgue, qu’Annie Ernaux est l’un de mes grands plaisirs de lecture, depuis La Honte et L’événement. Annie Ernaux, par le récit de sa vie, de son milieu social, de son ascension d’une strate à une autre, de la constante revisite de ses souvenirs, de sa famille, vise à créer une socio-autobiographie. Rendre compte d’un milieu, d’un malaise, par une écriture « plate », qui se détache de toutes les fioritures d’écrivain, pour viser au plus vrai. Annie Ernaux, c’est l’écriture de la honte sociale, comment une petite fille de milieu très modeste passe l’agrégation, finit professeur et épouse un homme d’un milieu bourgeois, sans jamais ne pouvoir se départir de son origine sociale. C’est les limites de la transgression, la hantise des racines – non dans le sens horrifique, mais dans celui d’occupation quasi-définitive, jusqu’à ce qu’on puisse s’en départir par la psychanalyse, ou l’écriture. C’est une femme qui a dévoilé son journal intime, lorsqu’on l’a accusée d’avoir menti dans l’un de ses livres. L’intime est au-dehors, il est au secours d’autre chose que l’avancement de soi, la gloire, le narcissisme. Il est une nécessité naïve pour combattre le cynisme, une vérité qui doit s’extraire de la sphère privée pour contribuer au balancement de la vérité publique, telle que voulue par les communicants, les historiens, les censeurs.

Annie Ernaux et Valérie Trierweiler partagent cette candeur de la parole, qu’elles ramènent toutes deux à leur milieu social : on parle vrai en bas, on ne déguise pas, on est spontané. Car dans Merci pour ce moment, outre l’histoire d’amour et de souffrance que raconte la principale concernée, il y a aussi une réhabilitation sociale, que l’espace public a tenté de lui retirer : originaire d’un milieu modeste (son père, invalide de guerre, touche une petite indemnité ; sa mère, au chômage, prend à sa charge complète ses quatre enfants), Valérie Trierweiler raconte, que loin de l’image dorée qu’on a souhaité lui donner (à des fins destructrices, c’est-à-dire pour entériner une femme et journaliste politique, en véhiculant une image dévastatrice), elle s’est entièrement construire par ses propres moyens – fortement limités – quittant sa campagne à 17 ans, pour monter à la capitale et faire des études de communication. Partant du bas de l’échelle, elle décroche petit boulot après petit boulot, et noue au fil des décennies, ses contacts avec la classe politique. Elle finit par épouser, en second mariage, un homme du même milieu qu’elle, qui s’est construit une culture classique, souhaitant comme elle transgresser son milieu par le biais cette fois de la connaissance savante et universitaire.

L’un des points fascinants de son témoignage (qui, au demeurant, contient sa part de justification, de vilipende, mais aussi de juste renvoi de bâton) est cette notion de place – que l’on retrouve dans la caution d’Annie Ernaux, comme sa problématique phare du déplacement – d’illégitimité. Illégitimité de première dame, qui en fait la femme blessée que l’on a lue et vue (avec toute la justification derrière pour mieux saisir ses égarements), mais plus particulièrement, illégitimité de classe. En arrivant aux côtés de François Hollande, ce dont ne s’aperçoit pas tout de suite Trierweiler dans sa fuite passionnelle aux côtés de son nouvel amant, c’est le décalage social qui sera une cassure irrémédiable, une fois les yeux ouverts sur sa situation. Elle rappelle qu’elle vient d’un endroit où l’on manque, gâcher est un péché, et qu’elle fait pourtant sa vie avec un homme qui « jette directement à la poubelle la viande quand elle est sous vide ». Ah. La présidence normale est tout de même un président qui, depuis ses débuts en politique dans les années 1980, a toujours recherché le contact journalistique, leur accordant toujours une phrase, une boutade, et qui vit mal leur éloignement. Une envie de néons, dont témoigne sa vie de couple avec Royal, d’hôtels et de restaurants opulents, un goût pour le luxe et la gloire bien égal à son prédécesseur.

L’autre point intéressant concerne les manipulations ordinaires du discours politique, contre lequel elle lutte en prenant la plume. La politique souhaite bâillonner la parole pour ne proposer qu’un discours communicationnel, au service d’un pouvoir en mal constant de légitimité ? Qu’à cela ne tienne, le jour où l’on est écarté de cette stratégie, il ne faut pas s’attendre à ce que l’on en respecte les règles qui n’ont jamais été qu’imposées. Trierweiler retrouve un ordre en décidant par elle-même, pour la première fois depuis le début de la campagne (soit quatre ans), ce qui peut être dit d’elle-même et de son entourage. Et ça clash sévèrement avec ce que l’on a pu lire toutes ces années, à commencer par ses origines. Régler ses comptes avec l’homme public signifie régler ses comptes avec l’homme privé : cela signifie « to set the record straight« , puisqu’il faut bien commencer à démêler la parole publique de la parole privée, en montrant les deux poids deux mesures avec lesquels elle s’est vue devoir cohabiter. Cela inclut les paroles machistes, que l’on n’attend pas, au détour de conversations avec Hollande et ses collaborateurs. Cela inclut les paroles dégradantes, sur le rôle de première dame, dont le livre rappelle en filigrane qu’une réelle définition est nécessaire, pour arrêter de considérer la fonction avec tout le mépris des hommes politiques à cet égard.  Cela signifie oublier l’intelligence derrière la femme, celle de la journaliste politique, en exercice depuis plus de vingt ans, dont la mémoire sociale et politique est pourtant bien vivace. Elle n’a pas été élue, on la fait taire : comme on a tu les précédentes premières dames (qui se sont exécutées sans un mot plus haut que l’autre), ou bien d’autres comme Hillary Clinton et Michelle Obama, pourtant autant qualifiées que leur partenaire élu. L’erreur a été de lui taper trop fort dessus (souvent à desseins, en bouc émissaire idéal des échecs de son compagnon), et que le gouvernement ne la soutienne pas : partant de ce postulat, de quel droit ne pourrait-on pas réclamer pour soi-même une justice de parole ?

Loin d’être exempt de défauts, de longueurs, Merci pour ce moment a un avantage fondamental, celui de remettre en contexte ce qui a été tronqué, de permettre à Trierweiler de se re-sapper contre l’hypocrisie et la langue de bois qui sont de mise. Ce n’est pas toute la vérité, et franchement, on s’en carre un peu quelque part. Reprendre la main sur sa narration, qui appartenait jusque-là à l’appareil de communication gouvernemental et aux médias, est l’essentiel ici, et au passage, témoigner du machisme ordinaire des rouages politiques.