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Inquiétante étrangeté

Il m’en a fallu du temps pour porter de l’attention à l’oeuvre de Camus, à cette voix atone dont les vibrations retenues ne sont que plus ébranlantes. Il a fallu des extraits répétés livrés en pâture à des étudiants étrangers, et un petit carton abandonné dans un couloir clair ; un petit carton cédant misérablement sous le poids d’une progéniture orpheline de Camus, laissée à l’air à qui se sentira le courage d’en tasser son sac. N’eus-je eu la fantasque idée d’exhorter mes propres pupils à dévaliser ce petit carton, peut-être aurais-je à mes côtés en cet instant, une collection – sinon complète – bien fournie de ses oeuvres. Hélas, ne jamais sous-estimer la valeur de l’exhortation menaçante, et le prix de ce qui n’en a – littéralement – pas.

J’ai donc initié ma découverte avec L’étranger, seul ouvrage avec L’homme révolté, que je réussissais à arracher par avance, peut-être prise d’un indéfinissable présentiment, indubitablement prisonnière de quelque scrupule. Une lecture sciante.

Étranger à lui-même, combien de personnes ont du commencer ainsi les quelques mots que l’on souhaite dédier à la lecture de l’étranger, lorsqu’elle est achevée ? Il faut bien dire que le sentiment est clair, dès les premières lignes où sans en saisir le mécanisme, le lecteur s’accroche aux pages comme un naufragé au premier rocher rencontré. D’une écriture empruntée de simplicité, si factuelle, hachée et continue, nous voilà lancés aux côtés de Meursault, à l’observer de profil, de devant, marcher sur les traces de sa nuque, ses pieds, à suivre son cheminement depuis la seconde phrase où sa mère est décédée… jusqu’à la fatale conclusion du récit.

Meursault ne parle pas beaucoup, Meursault se tait beaucoup. C’est pourtant lui qui nous raconte son histoire, comme si les pensées avaient malgré elles fui des tuyaux de sa tête. Chaque chapitre est un jour, chaque jour Meursault marche, rencontre des gens, se fait des amis pour lesquels il n’a de véritable attachement, il fume, il boit, il a chaud, il dort. C’est à Alger que Meursault vit et enterre sa mère, revoit Marie et commence une liaison avec elle, parle à ses voisins de pallier qui ont des embêtements ordinaires. C’est l’été et l’été l’étourdit. Détaché de beaucoup de choses, et pourtant attaché, sans l’expliquer, à ce que les gens ne le haïssent pas. C’est un suiveur, il ne voit pas d’inconvénients à faire un faux témoignage, à marier une femme qu’il n’aime pas, à enterrer sa mère, à battre des arabes. Si peu acteur de sa vie qu’il la regarde défiler sans la discuter, ses seuls véritables problèmes demeurent la chaleur, l’ennui, la peur de la détestation des autres. Il n’est pas compris, il est différent, et porte en lui une certaine forme de candeur : celle d’essayer d’être compris, parfois, sans insister outre mesure devant l’échec de la tentative. Il se résigne, beaucoup, sans que ça ne le dérange.

Camus nous transporte avec passion dans le récit quotidien d’un personnage détaché, jusqu’au drame clôturant la première partie ; jusqu’à ce que le cœur battant, on constate où son détachement des choses l’a mené, à sceller son propre sort. Jusqu’à ce que, peut-être, l’inconscient nous dise que son détachement n’était que la façade d’un raisonnement insu plus complexe en-deçà de la surface.

Coincidence ? France Culture tient un petit cycle d’adaptation de L’étranger.

Le Magazine Littéraire au mois de janvier 2012 proposait un hors-série dédié à Albert Camus. On peut également trouver une critique du Dictionnaire Albert Camus.

L’hommage de la NRF.

… Et The Guardian revient sur une lecture de plage de G.W. Bush. Iiih!