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Holy fête et la folie en tête

Bienvenue en Alabama en1918, dans la petite ville de Montgomery, où Zelda Sayre est la reine du pétrole. Fille de juge, petite fille de sénateur (et d’esclavagiste), un passe-droit lui est donné pour tout : ses caprices, ses sorties, ses amis et petits amis. Pourtant c’est un soldat yankee sans le sou, Francis, de passage dans la ville, qui va ravir son cœur. Contre l’avis de ses parents, qui la renient, elle quitte sa province natale en 1920 pour nocer cet écrivain fêtard et soûlard, qui l’entraîne à New-York en pleine prohibition, puis en Europe, sur le bassin méditerranéen et à Paris. De retour à New-York en 1930, leur couple se déchire après une décennie d’altercations conjugales… et Zelda finit par errer d’hospice en hospice, où elle croupit entre les mains changeantes de divers psychiatres.

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On ne présente plus le couple Fitzgerald et ses frasques, emblématiques de l’ère jazzy du New York après-guerre, puis de la Lost Generation expatriée à Paris. Ils se sont un peu aimés, ils se sont beaucoup détestés. Francis était un homosexuel refoulé, Zelda fut beaucoup abusée (physiquement, mais aussi psychiquement), s’est vue internée et interdite toute activité créative (outre la peinture), et a terminé dans la dèche et l’oubli. Du pain béni pour la fiction !

Et pourtant. Ce roman de Gilles Leroy, Prix Goncourt 2007, m’a beaucoup déçue et exaspérée : en vérité, après avoir engouffré Kiki de Montparnasse et trouvé le projet, la forme et le fond, à la fois maîtrisés et décoiffant, je dois dire que j’attendais beaucoup plus de cette incursion – certes subjective – dans la vie et la peau de Zelda Fitzgerald. Assez rapidement cependant, il s’avère que la forme « expérimentale » est brouillonne, la narration bancale. Il y a comme une paresse d’écriture, une histoire qui se repose sur l’intelligence du lecteur pour établir les liens : pourquoi pas, en principe, mais en l’état, cela permet à l’auteur de faire l’économie de la contextualisation ; et sans la maîtrise narrative nécessitée pour cette pirouette, le récit tourne au cafouillage. La voix de Zelda est au-delà du plaintif, c’est un geignement interminable… Et Leroy se sert de Zelda comme d’un puits à fantasmes, un toboggan sur lequel faire glisser ses imaginations d’écrivaillon qui croit avoir percé la psyché féminine. Spoiler alert : le niveau de complexité psychologique est inouï. Qu’en est-il de destruction intérieure ? De vraie folie ? Peut-on avoir un peu de matière croustillante sur Zelda, outre l’enchaînement de clichés impersonnels ?

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Alors le Goncourt, sérieusement, j’ai pas compris. Ou alors je me suis bandée les yeux toutes ces années, et c’est en fait précisément ce qu’est le Goncourt. France Info livre son explication (14 tours de scrutin quand même) : « Surprise totale au prix Goncourt : sur les cinq nominés, Gilles Leroy est sorti vainqueur de ce vote difficile, marqué par les absences de jurés importants. ». De fait, si le sujet n’avait pas été aussi peu approprié pour l’écrivain, on s’en serait sorti – mais on est bien loin de la prouesse littéraire. On est, en revanche, plus près de l’écueil. Si la deuxième moitié, plus recentrée sur les ballades de Zelda en thérapie, est plus digeste, ça ne suffit pas pour refermer l’ouvrage convaincu.

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En peu rembrunie en tournant la dernière page, je décide de me faire un peu de mal et je me rends sur le site de l’auteur. Je suis récompensée pour mon effort dès la première ligne de la page « biographie » :

1958. Gilles naît le 28 décembre à Bagneux, en région parisienne. Fils d’Eliane Mesny (qu’on retrouvera dans les romans sous les traits de Nush, de Lou) et d’André Leroy (dit « Le playboy », dit « Le jeune homme amoureux de l’Amérique »)

Je n’adhère pas vraiment à sa façon de donner les clefs de compréhension de son propre travail : c’est ce même manque de subtilité que l’on retrouve dans son livre et qui en fait un peu un type qui veut parler à la place de son œuvre… Autant dire que je ne m’approcherai pas de ses deux autres « bio-calligraphiques », dont l’une retrace le parcours d’une certaine Nina Simone (ma pauvre, il a dû t’esquinter toi aussi). Je ne regrette néanmoins pas ma petite e-scapade, car c’est l’occasion de découvrir l’édition russe d’Alabama Song, avec la même couverture que Twilight.

Alabama Song, de Gilles Leroy, Mercure de France, 2007 ; Folio pour l’édition de poche.