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L’immaculée conception du féminisme

C’est la première fois de ma vie que je m’attaque au sujet du féminisme raciste (avec non pas un, mais deux livres) et j’en suis ressortie plutôt chamboulée. Je commence avec un petit essai un peu explosif ; un livre controversé, au vu de la kyrielle de débats nés suite à sa publication.

Il est ardu de résumer son contenu, dont voici approximativement la thèse. Partant des débats autour de la loi contre le port du voile à l’école en 2004, Boggio Éwanjé-Épée et Magliani-Belkacem reviennent sur tous les points qui ont vu les politiques utiliser le féminisme à des fins racistes, afin d’instrumentaliser l’opinion. Sous couvert de défendre la liberté d’évoluer et de penser des femmes, il s’agissait en fait de s’attaquer à des points d’ancrage majoritairement culturels ou religieux, sur des territoires urbains bien définis comme les cités ou dans les anciennes colonies, afin d’asseoir des politiques à visées raciste et impérialiste.

Son premier auteur, Félix Boggio Éwanjé-Épée, est présenté comme un étudiant en philosophie de 22 ans et membre du parti NPA, tandis que Stella Magliani-Belkacem est la secrétaire de rédaction de La Fabrique, maison d’édition d’Éric Hazan, constituée d’une poignée d’individus (principalement lui-même, Magliani-Belkacem accomplissant la majorité du boulot d’édition, et un graphiste) et éditant des essais très engagés.

Féministes blanches

C’est le livre le moins clair que j’ai lu cette année, car les thèses de ce féminisme blanc à visée impérialiste et à but / conséquence raciste, sont assenées à grands renforts de rhétorique plutôt rouge que blanche, beige ou noire. Si bien qu’on se demande parfois si ça se finit pas en entourloupe… Car à tant user de termes généraux et génériques, à clamer, asséner, vilipender des traits politiques, on en vient un peu à s’interroger sur une démonstration qui aurait été plus efficace si plus classique dans son historisation. On a là un papier fulminant, qui manque souvent de dates et de faits, ou qui fait l’impasse sur eux. Si bien que les faits relatés paraissent parfois partiels (et partiaux), quand bien même l’atrocité d’un bon nombre d’entre eux est indéniable. Et c’est ce que les auteurs revendiquent dans la présentation de l’éditeur : proposer « non pas une histoire détaillée, mais plutôt un coup de projecteur. »

Un des gros sujets à controverse est venu du chapitre dédié à l’homosexualité, et la valeur « occidentale » qu’il faudrait donner à une telle orientation. Les pays arabes n’auraient, jusqu’au XIXe siècle, pas raisonné en terme d’orientation sexuelle, mais en termes de pratiques sexuelles, aka la sodomie. Il y a donc des sodomites arabes oui, mais pas d’homosexuels, jusqu’à la colonisation impérialiste des occidentaux (… et les lesbiennes dans tout ça ?). Et ce raisonnement se glisse jusque dans les cités et foyers précaires, où l’on n’a pas le loisir de se poser la question de son orientation sexuelle. Une question réservée à des fanges plus aisées…

J’ai donc pas mal surfé, après avoir refermé le livre, et je n’ai pas été déçue sur la quantité d’encre numérique qui a coulé sur ce petit livre : ceux qui s’attaquent à sa lecture ont pris le temps de poser leurs impressions, car les textes sont fluviaux (à l’exception de Serge du Monde Diplo, qui a fait concis). Josette sur Contretemps a voulu réfuter tous les points obscurantistes de l’essai : et la valeur de travail de « recherche » en prend pour son grade, car le manque de méthode est flagrant pour Josie. Pourtant, pas mal de critiques s’attardent à réfuter, tout en précisant que le postulat de départ est non seulement éclairant, mais également nécessaire. Difficile, à partir de ce moment-là, de démêler la querelle de militants/universitaires, à la véritable gageure pour laquelle ce livre passe.

J’en suis sortie un peu interdite, et manquant de bases pour saisir tous les tenants et aboutissants, mais il est certain que nous avons besoin de plus de publications explorant et abondant dans ce sens-là.

Les féministes blanches et l’empire, de Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem, éditions La Fabrique, 2012.