Un roi sans couronne

En cherchant dans les billets de ces dernières années, je n’ai retrouvé que deux billets shakespeariens émanant de mon clavier : l’un sur Le Songe d’une nuit d’été, l’autre sur MacBeth. Il me semblait pourtant vous avoir rebattu les oreilles d’autres œuvres de ce cher barde briton ! Ma foi, le troisième billet complètera parfaitement les deux précédents puisque cette fois, nous plongeons au cœur de l’histoire d’Angleterre : Richard II, mesdames, messieurs !

Richard-II

Je me suis motivée pour faire un billet vulgarisateur (avec, probablement, une bonne dose d’approximations et d’imbroglii). On divise généralement la vaste œuvre de Shakespeare en trois catégories : les tragédies, les comédies et les histoires. Si ce classement est en réalité un peu plus complexe (il y a des tragi-comédies, des pièces qui sont plus poétiques que tragiques stricto sensu, etc.), on peut tout de même mettre dans le même panier toutes ses pièces ayant trait à l’histoire d’Angleterre, plus particulièrement toutes les pièces ayant pour sujet des monarques « récents ».

À présent, quelques faits, pour situer notre barde dans l’espace et le temps. Shakespeare écrit durant le règne d’Élisabeth Ire, cette grande figure monastique qui régna cinquante ans (environ 1550-1600), seule, à la barbe de tous les poltrons qui tentèrent de l’épouser ou de la déloger. Une figure qui me fascine personnellement, et qui fut magistralement incarnée au cinéma par Cate Blanchett :

Elizabeth1England

Elle chargeait pas mal ses tenues vers la fin de son règne.

Elizabeth

Cette affiche lascive semble nous chuchoter un secret à l’oreille : « … I’m a naughty queen ! »
(J’ai pas gardé un souvenir phénoménal de la suite, L’Âge d’or, à part pour ses costumes qui sont à couper le souffle.)

Pour écrire ses pièces historiques, Shakespeare s’est principalement inspiré du travail d’un chroniqueur historique, Holinshed, dont certaines parties du travail furent censurées. Pourquoi ? Eh bien, comme Shakespeare, les publications d’Holinshed paraissent durant le règne d’Élisabeth Ire, et en tant que descendante des Tudors, il y a quelques soucis de filiation que l’on aimerait bien oublier…

Petit arbre généalogique, pour vous resituer tout cela :

TableaugeneaologiqueJ’ai ajouté quelques annotations (très lisibles) sur cet arbre (oui, je m’investis). Devine lesquelles, hihi !

Le père d’Élisabeth est Henri VIII (vous savez, celui dont on tira plus ou moins la légende de Barbe-Bleue), son grand-père est Henri VII (ci-dessus, sur l’arbre), premier de la dynastie Tudor, celui dont le règne mit fin à la guerre des Deux-Roses (guerre civile de succession, qui dura près de trente ans, période pendant laquelle deux clans se tirèrent dans les pattes et tentèrent toutes les trente secondes de piquer la couronne les uns aux autres). Ce n’est pas tant qu’Élisabeth soit une totale usurpatrice, ayant du sang royal coulant dans ses veines, mais son illustre ancêtre a quand même pris le trône où était déjà assis Richard III, et en termes de lignée royale, ce dernier était quand même mieux placé qu’aucun Tudor.

Vous me suivez toujours ? En gros, si j’active mon mode « Jamy », Shakespeare écrit à une époque où il ne faut pas dire trop de mal des Tudors et, si possible, ne pas redorer le blason des rois dont on a usurpé la couronne, soit les deux Richard. Autant vous dire que si Richard III passe pour un méchant réellement monstrueux et machiavélique dans la pièce éponyme, Richard II n’en ressort pas grandi non plus, même si ses traits sont peints avec plus d’humanité.

La pièce de théâtre s’ouvre sur une querelle opposant deux nobles, un certain Mowbray, ayant par le passé commis quelque méfait au nom du jeune roi Richard, et [Henri] Bolingbroke, noble cousin du roi. L’un et l’autre s’accusent d’être des menteurs et des traîtres (une constante dans la pièce), et c’est le roi qui doit arbitrer leur querelle. Expédiant leur procès, il décide de les exiler tous deux : Mowbray doit disparaître pour toujours, tandis que Bolingbroke en prend pour six ans. Les deux sont écœurés, mais font mine d’accepter l’autorité du roi comme la seule qui soit. Assistant au départ de son cousin, Richard se rend tout de même compte que Bolingbroke a la côte avec absolument tout le royaume, et l’affaire lui plaît moyen.

De toute façon, Richard a d’autres soucis : il faut qu’il finance ses guerres, notamment celle qui lui donne du fil à retordre avec des Irlandais, l’amenant bientôt à quitter l’Angleterre pour se battre au nord. Juste avant, le vieux père de Bolingbroke (soit l’oncle de Richard, tout le monde suit ?) meurt, sortant une ou deux prophéties au passage, et Richard se dit que c’est une aubaine qu’il ne faudrait pas laisser passer : il décide de récupérer toute la fortune de la famille du tonton, de retirer ses titres à son cousin en exil, histoire de remplir un peu ses caisses. Puis il se barre faire la guerre on ne sait où.

Bolingbroke prenant connaissance de cette félonie, de ce croc-en-jambe, il brave l’édit royal et remet les pieds en Angleterre. Au passage, il lève une armée de sympathisants, avec pour motif de se faire justice et de récupérer ce qu’on lui a spolié : mission « je vais demander poliment à mon cousin le roi de me rendre ce qui me revient, et ensuite je rentre chez moi sans faire d’histoire, promis juré ». Mais Richard est introuvable, parti pour une guerre que personne ne voit, la rumeur de sa disparition gagne du terrain et tout son royaume commence à lui faire défaut. Un autre bruit se fait entendre : Henri en voudrait à sa couronne et il aurait fui. Quand il réapparaît, Richard, impétueux et voleur de fortunes, est devenu un roi tragique, miséreux, affaibli. Le voilà devenu un roi sans royaume, sans titre, sans nom. Un roi qui dépose sa couronne devant plus vaillant, plus péremptoire que lui.

* * *

C’est une pièce qui m’a beaucoup plu, mais je ne suis pas très objective sur toutes ses pièces historiques. Il y a peu d’action (la quatrième de couverture parle même d’un « conte d’hiver aux accents plus tristes que violents, sans batailles, dans une atmosphère de soleil couchant ») et beaucoup de scènes d’opposition, menteurs contre menteurs, où il est compliqué de saisir de quel côté se trouve la vérité parmi tous ces ducs, comtes, nobles qui prennent parti pour l’un ou pour l’autre. Je remarque que dans d’autres pièces de Shakespeare, on aperçoit souvent les personnages en train de manigancer, dans des apartés où ils révèlent leurs noirs desseins. Peut-être parce que Richard II est l’une de ses premières pièces ? Ici les personnages se défendent corps et âme contre les accusations et tous les partis semblent plausibles, crédibles… Moins théâtrale par moments que d’autres de ses tragédies, c’est Richard II ici qui tient toutes les promesses pathétiques, poétiques, théâtrales, à la fois par son absence, puis par sa présence fantomatique et diffractée. Avec lui, c’est la couronne d’Angleterre qui perd de son sens, de sa matérialité, et gagne en fragilité.

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