Esquisser Meurisse

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Catherine Meurisse (Meumeu, de son surnom) est une dessinatrice de presse « à l’ancienne ». Le simple fait qu’elle fasse partie du staff de Charlie Hebdo en dit déjà un petit morceau sur son trait et sa liberté de ton : un dessin vif, impertinent, avec, toujours, le sens de la formule, la phrase en flèche. Quiconque a lu l’une de ses bandes dessinées ne peut être que soufflé par son sens de la répartie, par son dessin fouillé et par sa faculté de mettre en scène l’histoire, les arts et les lettres. Avec Meurisse, on s’écroule de rire, que ce soit pour plonger dans des siècles de littérature française (Mes Hommes de Lettres), l’impressionnisme et le cinéma (Moderne Olympia) ou bien la Critique d’art (Le Pont des Arts). Elle raconte avec autant de vivacité et de verve les origines de la chanson de geste, les déboires sexuelles des trentenaires que la désorientation existentielle et artistique après les attentats de Charlie et du Bataclan (La Légèreté). Le style de Meurisse est avant tout une vulgate sensiblement drôle.

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Sa toute première œuvre, Alexandre Dumas – Causerie sur Delacroix, est publiée aux éditions Drozophile-Quiquandquoi en 2005, alors qu’elle vient tout juste d’intégrer Charlie, du haut de ses 25 ans. Basée sur un hommage que prononça Alexandre Dumas à l’occasion d’une exposition posthume des œuvres d’Eugène Delacroix, j’y ai vu l’esquisse fondatrice de ce que seront toutes ses œuvres suivantes. Sans couleur aucune (faut pas déconner, elle vient de décrocher son diplôme et n’a pas un rond), ce discours illustré reprend et adapte le texte original, et exprime toute l’admiration de Dumas/Meurisse pour l’art et les lettres, en repartant de cette époque chérie du XIXe siècle et des Salons, où l’un et l’autre ne faisaient qu’un. Le texte de Dumas revient sur toute la carrière de Delacroix et le chemin de ses découvertes artistiques : les refus et insultes, les simili-succès critiques, la succession de salons :

Il fallut une révolution, celle de 1830, un renversement de dynastie, un changement de ministre, le triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie, pour que Delacroix vendît un tableau.

On a dit que l’homme qui tient une espingole à la droite de la Liberté était le portrait du peintre. De là à dire que Delacroix s’était battu comme un sauvage, il n’y avait qu’un pas. Aussi se répandait-il que Delacroix était un Républicain furieux. Pauvre cher Delacroix ! Nous avons passé toute notre vie à être de la même opinion en art, mais ennemis jurés en politique !

Le portrait de l’homme armé, celui de Delacroix ? Allons-donc ! L’homme à l’espingole est un véritable homme du peuple, et tout au contraire, Delacroix était une nature aristocratique s’il en fût !

(Terrible sort que connut ce tableau : accroché puis décroché en 1830 pour être remisé au grenier, il fut de nouveau monté puis démonté en 1848, direction le grenier pour une seconde sieste, avant d’être de nouveau récupéré en 1855.)

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… et ponctue son portrait d’une multitude d’anecdotes croustillantes (ah, ce bal costumé que servit Dumas chez lui, où il somma tous ses potos gribouilleurs, futurs pontes des Arts, de venir badigeonner les murs de son quatre pièces, entre deux binouzes et une quenelle !). Servi par les illustrations, le récit fait limite office de post de blog tant il est facile d’accès. Au final, pour une œuvre de « jeunesse » (qu’on qualifiera plus facilement de « maturité jeune »), la Causerie de Meurisse est bougrement maîtrisée, bien rythmée et instructive. Alors que le ton est à la badinerie pendant tout le discours, la fin surprend par sa brusque gravité. J’en ai presque eu la gorge étranglée, sacré Dumas, il savait s’y faire !

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Note actu : vous pouvez également opter pour des passeurs plus modernes.

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Scènes de la vie hormonale est un recueil de strips en 6 cases, parus dans Charlie Hebdo entre fin 2014 et mi 2016. C’est sympa sans plus (même si Meurisse visant la moyenne me paraît toujours au-dessus du standard médian) : des histoires très courtes avec des chutes sur le thème du désir de l’autre, de soi, des enfants, avec en guest star la GPA (j’ai limite pas compris que ça prenne autant de place dans le recueil, mais j’imagine que ça va avec la publication hebdomadaire dans Charlie) et multiplie les références aux classiques psychanalytiques. Une lecture facile et le cadeau passe-partout pour les fêtes (cet oncle ou ce membre de la belle-famille qu’on connait mal), et certainement pas ma préférée de l’auteure… Celle que j’ai le moins aimée, en fait (mais bon, difficile de passer après La Légèreté).

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