L’héritage austiennien

Stella Gibbons est une découverte amicale. Lors d’une échappée dans un comptoir de papier, l’acolyte était revenue toute guillerette, tenant sous le bras un livre au titre un peu ballot : La Ferme de cousine Judith. Ravie de sa lecture, elle en a ensuite vanté les mérites : un ton caustique, dans la lignée des Jane Austen, un humour juteux et des situations ridicules. Puisque la donzelle me devait une recommandation, selon les règles implacables de cette marotte littéraire à laquelle je consacre généralement ma fin d’année, j’ai pu récupérer le volume dans son giron.

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Ce n’est qu’alors que la connexion s’est établie, dans ce méli-mélo médusien de neurones emmêlés : La Ferme de Cousine Judith n’est autre que la traduction infortunée du célèbre classique britannique Cold Comfort Farm ! Celui-là même dont je voyais régulièrement se faufiler dans les listes des livres les plus drôles de tous les temps : Esquire, le Telegraph, le Guardian… Remarquez que Le Guide du voyageur galactique se paye également le haut de l’affiche humoristique de ces listes (oui, toi Bingo-copine qui souffre encore de quelques réluctances à toucher à la SF, je te regarde de mes yeux charbonneux). Ce Gibbons est donc une excellente nouvelle et c’est avec moult anticipation que je m’engouffre avec Flora Poste dans le récit de ses déconvenues sociales à Cold Comfort Farm, la Ferme de Froid Accueil.

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À 21 ans, Flora Poste se retrouve orpheline et sans le sou. Une seule certitude : elle est déterminée à bien ne jamais travailler une seule minute de sa précieuse vie. La solution qui s’impose est de faire appel à la charité de parents éloignés du Sussex, les Starkadders. La jeune femme est enchantée par cette perspective : voici le « projet de vie » idéal pour tromper son oisiveté. La Ferme de Froid Accueil est habitée par une branche très lugubre de la famille de Flora : des rustres mal-fagotés pataugeant dans une crasse permanente, avec nulle envie aucune de se civiliser un tant soit peu. En digne représentante de l’héroïne austiennienne, la vaniteuse Emma, Flora décide qu’il est de son devoir de mettre de l’ordre dans ce chaos campagnard.

Derrière cette histoire simplette, dont l’intrigue n’a pour but que d’occuper l’espace des pages, se cache un livre anti-sentimental : le sirupeux devient une sorte de moquerie, qui va devenir indispensable dans la vie de chacun des personnages. Le maître de maison, à Starkadder, est un prêcheur raté, qui va rencontrer sa destinée d’évangéliste (et quitter femme et ferme) ; la cheffe de famille atterrit dans une maison de repos en Suisse, pour une psychanalyse +++ ; le fils chéri, séducteur acharné, finit par être enrôlé par un producteur de cinéma ; la jeune sœur un peu souillon est une Cendrillon, qui match avec le meilleur parti du coin… Aucun personnage n’échappera à sa destinée romanesque à la ferme de Froid Accueil : en un coup de baguette magique et trois bons mots sur l’absurdité de la vie, le sort de chacun est envoyé paître au pays du happy end. Pas de temps à perdre avec la psychologie, au vu du peu de temps qui nous est imparti sur cette terre, boudiou, on est là pour se détendre – semble nous dire l’auteure ! La fin, mièvre au possible, fait écho aux (effroyables) dernières pages d’Orgueil et préjugés : La Ferme de cousine Judith oscille souvent entre une intrigue un peu neuneu, et la moquerie permanente de son récit, de ses personnages et de ses situations, qui manquent capitalement d’importance.

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Un livre léger qui m’a plu, mais avec lequel j’ai eu du mal parfois, butant sur la (mauvaise) langue : l’édition de Belfond Vintage a ressorti une traduction franchement vétuste du texte, sans réellement la peaufiner, et le texte est malheureusement criblé de formules approximatives, de collages anglais/français ou de contresens. Le plaisir de lecture s’en est un peu ressenti. M’est d’avis les amis qu’il vaut mieux en rester au texte dans sa langue originale (un texte assez simple, au demeurant), pour profiter pleinement de l’humour !

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